Des largages aériens des forces alliées sur Varsovie durant l’Insurrection



          A partir du mois de juillet 1940, le gouvernement britannique créa l’organisation secrète appelée SOE (Special Operations Executive) – La Direction des Opérations Spéciales. Son but fut d’animer et de renforcer la résistance clandestine dans les pays occupés par les Allemands. Au sein de la SOE fut créée, entre autres, une section polonaise.
          Pour assurer la possibilité d’approvisionner la résistance armée en équipement et armement indispensables, la SOE se vit attribuer une flotte aérienne attitrée. Au mois d’août 1940, à Newmarkt en Angléterre centrale, fut organisée une unité spéciale - escadre 1419, dans une station aérienne de la RAF.
          En août 1941, les tâches de l’escadre furent reprises par une unité spéciale de la RAF, la division 138. En septembre 1941, trois équipages polonais furent assignés à cette division. A partir de ce moment, les pilotes polonais commencèrent leur service au sein des opérations spéciales qui dura prèsque 4 ans. Tous les pilotes furent des volontaires et disposèrent d’une expérience nécessaire dans le domaine opérationnel et de combat (30 vols de combat au moment d’assignation à cette unité).
          Le 1er avril 1943, au sein de la division 138, fut créée une escadre polonaise composée de 6 équipages + 1 de secours et du personnel technique. L’équipement de l’escadre se composait de 3 Halifax et 3 Liberators. L’escadre se vit octroyer le numéro 301 pour commémorer la division de bombardement portant ce même numéro et qui fut dissoute suite à d’importantes pertes lors des raids aériens au-dessus du IIIe Reich.
          Lors de son séjour sur le territoire britannique, l’unité de la SOE mena 103 opérations de support à la résistance polonaise dont 72 furent couronnés de succès. On largua 194 « cichociemni » (littéralement : « Silencieux et sombres » - membres d’une unité secrète de l’armée polonaise destinée à maintenir le contact avec le pays) et environ 80 tonnes de ravitaillement. On perdit à cette occasion 10 avions.
          Lorsque les vols au nord devinrent difficiles et dangereux (en septembre 1943, lors de deux opérations nocturnes on perdit 8 avions) – à l’automne 1943 l’escadre fut transférée à Tunis et ensuite, en décembre 1943, à l’aéroport de Campo Casale près de Brindisi en Italie. Les forces aériennes de la SOE ne cessèrent de croître. L’escadre polonaise obtint le numéro 1586 et fit partie de l’aile 334 de la division 138, pour les Opérations Spéciales de la RAF.
          Le transfert de la base dans le sud fut une manoeuvre pertinente. Après les premiers échecs au mois d’avril et mai 1944, on envoya en Pologne 104 personnes et 172,5 tonnes de ravitaillement, c’est à dire deux fois plus qu’au cours des 3 années précédentes d’opérations menées à partir du Royaume-Uni. Durant cette période, on perdit 5 avions.
          La section polonaise en Italie fut efficace tout au long de l’année 1944. Durant cette période, 620 vols de combat furent effectués en Pologne dont 290, c’est à dire 47% furent un succès. On larga 152 parachutistes et 362 tonnes de ravitaillement. Par ailleurs, on envoya en Pologne 194.400 dollars en lingots d’or, 10.433.400 dollars en billets et 43.000.800 zlotys en billets. Les pertes propres s’élevèrent à 48 avions à quatre moteurs.
          Pour les raids de largage nocturnes, la SOE utilisait deux types de bombardiers: des Halifax et des Liberators.



Bombardier anglais Halifax

          Les paramètres du bombardier anglais Halifax :
          Données techniques : 4 moteurs à cylindres Rolls-Royce Merlin de 1.260 chevaux chacun. Dimensions: envergure 30,12 m, longueur 21,82 m, hauteur 6,32 m, voilure 116 m2; poids à vide 17.350 kg; masse au décollage 24.675 kg; masse maximale au décollage: 27.340 kg; performance: vitesse maximale: 451 km/h, plafond 7.315 m, rayon d’action normal 4.800 km; rayon d’action maximal 5.470 km; armement: 10 mitrailleuses 7,69 mm, capacité maximale 5.900 kg de bombes transportées dans le compartiment à bombes dans le fuselage (longueur environ 6,70 m) et dans les 2 compartiments situés dans les parties des ailes près du fuselage; équipage: 7 personnes.



Bombardier américain B-24 Liberator


          Les paramètres du bombardier américain B-24 Liberator:
          Données techniques: quatre moteurs à 14 cylindres en étoile Pratt-Whittney "Twin-Wasp" R-1830-43, puissance 1.200 chevaux chaque; dimensions: envergure 33,55 m, longueur 20,52 m, hauteur 5,49 m, voilure 97,4 m2, poids à vide 17.200 kg; masse totale 32.300 kg; performance: vitesse maximale 480 km/h, vitesse minimale 140 km/h, vitesse pour atteindre le plafond de 3.200 m: 10 min, plafond 9.700 m, rayon d’action normal 3.700 km; rayon maximal 4.500 km; armement: 4 postes mobiles de 2 mitrailleuses couplées de calibre 12,7 mm, 3 mitrailleuses de calibre 7,7 mm, 5.800 kg de bombes; équipage 7 à 8 personnes.

          Les brigades des insurgés initièrent les combats le 1 août avec un sérieux déficit d’armes et de munitions. La situation devint critique après les premieres attaques sur les bâtiments stratégiques allemands qui furent supposés de fournir des armes complementaires et qui se soldèrent par un échec.
          Le 2 août 1944, le Commandant en chef de l’Armée de l’Intérieur, le général Tadeusz Bor-Komorowski envoya des dépeches alarmistes au commandant de la Base aérienne polonaise à Brindisi. Suite à un déficit catastrophique de munitions pour des fusil, fusils mitrailleurs et pistolets mitrailleurs et les armes antichar, il demanda des largages sur le petit Ghetto, la zone des filtres, rue de l’Indépendance, Madalinskiego, Kercelak et du cimetière juif. Les endroits des largages devaient être marqués de nuit par des signaux convenus (flèche).
          Dès la réception des dépeches on procéda à la préparation des vols pour aider Varsovie combattante. La distance jusqu’à Varsovie, en passant au-dessus de l’Adriatique, de la Yougoslavie et de la Hongrie fut d’environ 1.400 km. Sur le trajet du vol se trouvaient de nombreux postes de défense contre aéronefs (DCA), les bombardiers furent également la cible des chasseurs nocturnes allemands.



L’itinéraire des vols de ravitaillement pour Varsovie


          Au départ, les avions ne furent pas autorisés à décoller pour Varsovie pour cause de mauvaises conditions météo. C’est le chef des Forces aériennes alliées en Mediterranee (MAAF), le maréchal de l’Air John Slessor qui ne donna pas son accord.
          Le 3 août, tard dans la soireé, 14 avions (7 équipages polonais et 7 britanniques) terminèrent leurs préparatifs au décollage pour Varsovie. Peu avant le décollage arriva l’ordre de larguer non pas à Varsovie mais dans d’autres parties de la Pologne. Quatre équipages polonais (3 Liberatos et 1 Halifax) déciderent, avec l’accord tacite du commandant de la base le major Jan Jadźwiński et du chef de l’escadre major Eugeniusz Arciuszkiewicz, de procéder au largage au-dessus de Varsovie. Chaque avion en partance pour l’opération emmenait 12 conteneurs hydrofuges en métal de 2,5 m de longueur et 1,0 m de diamètre, qui ressemblaient à une lourde bombe et pesaient plus de 160 kg. Au total, un bombardier emmenait environ 2 tonnes de chargement: pistolets mitrailleurs Stens, mitrailleuses, armes antichar, fusils, grenades et munitions. Les munitions provenaient en partie d’Allemagne et étaient compatibles avec les armes récupérées par les insurgés sur l’ennemi.



Bombardier en préparation au vol à l’aéroport de Campo Casale


          Dans la nuit du 3 au 4 août 1944, trois équipages commandés par le capitaine Stanislaw Daniel, le lieutenant Tadeusz Nencki et le sous-lieutenant Stanislaw Kleybor procedèrent avec succès aux largages dans la zone du cimetière dans le quartier de Wola où combattait le groupement militaire "Radoslaw". Les largages furent effectués entre 0h48 et 1h43.

          Memoires de chorązy (Chorązy – rang militaire polonais supérieur à sergeant et inférieur à sous-lieutenant) (W/O - Warrant Officer) Jan Cholewa, pilote du Halifax JP-251 "P" commandé par chorazy (W/O - Warrant Officer) Henryk Jastrzebski:
          Cela fait quatre jours que la radio polonaise de Londres passe le chant "Z dymem pożarów" (« Par la fumée des incendies »). Cela fait quatre jours que Varsovie demande de l ‘aide – demande des largages, des parachutistes et qu’ elle continue à combattre seule. Nos parachutistes luttent à Arnhem et nous – quelle ironie du sort – nos faisons des vols pour aider les maquisards en Italie du nord.
          Bien qu’il reste encore 30 minutes avant le briefing, dans la salle il y a déjà tous les équipages au grand complet. Cela fait quatre jours qu’ils sont tous là. On ne peut obtenir l’autorisation de vol alorsqu’ ils demandent et qu’ils attendent nos largages.
          Quelques minutes avant le début du briefing le commandant de la Division 301, major Arciuszkiewicz rentre dans la salle. Un tel silence règne dans la salle qu’on pourrait entendre une mouche voler. Tous les yeux sont tournés vers notre commandant comme pour y lire ce que nous attendons sans succès depuis quatre jours.
          Le major Arciuszkiewicz – environ la quarantaine, brun, un peu plus de 1,70 cm – monte sur le podium, regarde pendant un moment la carte de l’Europe qui occupe tout le mur de la salle, il se tourne vers nous et d’une voix émue, presque méconnaissable demande le silence.
          - Hmm!.... notre commendant est vachement pensif aujourd’hui – chuchote quelqu’un dans la salle. – N’a-t-il pas remarqué que le silence absolu règne depuis qu’il a pénetré dans la salle?
          - Messieurs - dit le major – qui d’entre vous voudrait partir pour Varsovie?
          Un hurlement assourdissant se lève dans la salle. On se lève de nos chaises et on court vers notre commendant - "Major! Nous y allons, "Major! Nous connaissons Varsovie, nous allons y aller", " Nous voulons y aller". Ce sont les exclammations que l’on arrive à distinguer dans le brouhaha général.
          Le major Arciuszkiewicz lève la main et demande le silence. Sans voix, nous retournons à nos places.
          - Messieurs! Le vol sera très difficile et très long car d’environ 1400 km, voilà pourquoi aujourd’hui ce sont les trois équipages les plus experimentés qui partiront.
          Grace à cette solution, notre équipage se retrouve précisément sur la liste des heureux élus.
          - Chers collègues! – continue le major – en profitant de l’absence des britanniques je voudrais préciser que le lieu de largage est le cimetière juif, approche sur la zone du largage du côté de la forêt de Kampinos ou de la station de radio à Raszyn. La position exacte du cimetière et des signaux entre l’Armée présente au cimetiere et vous mêmes vous seront indiqués lors du briefing par l’officier de navigation. Je ne suis pas en mesure de vous en dire plus en ce moment car nous n’avons aucune indication sur la disposition, la quantité ou le type de défense contrei aéronef des Allemands dans la zone, ni dans Varsovie même. Vous en ferez l’expérience une fois sur place. N’oubliez pas que ce sera le premier largage sur la ville réalisé par les divisions spéciales de la R.A.F. Il ne dépend que de vous si nous continuerons les vols pour Varsovie ou pas. Ah! – pour brouiller les britanniques, le reste des avions ira sur la zone de largage au centre et centre-ouest du pays.
          A ce moment là, les officiers anglais avec le commandant de la base rentrent dans la salle. Un briefing normal commence comme avant chaque vol de combat. Je doute cependant que quiconque d’entre nous écoute attentivement ce que disent les chefs des sections car dans nos esprits nous sommes tous déjà à Varsovie.
          - Jurek! – j’entends un chuchotement dans mon dos – rappelle-toi! A ton retour tu dois absolument dire qu’il n’y a aucune défense anti aéronef dans la ville.
          Après le briefing nous partons pour l’aéroport, seuls les navigateurs restent dans la salle pour préparer le vol d’aujourd’hui. Ca grouille autour des machines, nos mécaniciens s’affairent comme des médecins autour d’un malade. Notre brigadier vérifie personnellement pour la centième fois le ravitaillement en carburant, l’huile, glycol, les munitions et des dizaines d’autres choses se trouvant dans un avion et qui décident, toutes ensemble, du succès du vol. On peut tranquillement partir dîner, les mécaniciens nous prépareront l’avion comme s’ils devaient le prendre eux-mêmes. On sait que les mécaniciens polonais sont parmi les meilleurs, sinon les meilleurs, de la RAF.
          Après le dîner nous prenons les sandwichs et les jus d’orange préparés par les cuisiniers et nous nous regagnons nos quartiers. Tandis qu’Emilio, notre mécanicien de bord, c’est à dire le sergent-major Emil Szczerba – de taille moyenne, cheveux châtains avec les jambes d’un cavalier – part récupérer pour tout l’équipage du chocolat et des bonbons. Un camion s’arrête devant le bâtiment, nous y montons et partons pour l’aéroport. Comme d’habitude dans la voiture on se lance des vannes en essayant de ficher la trouille au membres d’un autre équipage. Les moins résistants pâlissent et demandent d’arrêter les bêtises car à quoi bon parler du loup.
          Le camion s’arrête devant notre appareil. Des mécaniciens souriants accourent, récupérent nos parachutes et nos combinaisons pour les emmener dans l’avion. Ils se comportent comme nos mères lorsqu’elles nous expediaient à l’école pour la premiere fois. C’est un secret de Polichinelle que lorsque nous partons „à la guerre” ils veillent pour attendre notre retour.
          Le long du chemin que nous allons bientôt emprunter pour atteindre la piste de décollage, se tiennent des groupuscules de nos spectateurs quotidiens – médecins, infirmières et infirmiers – de l’hôpital de campagne polonais qui se trouve non loin de là. Notre brigadier démarre les moteurs de notre Halifax. Les premiers avions roulent déjà sur la piste, il est temps pour nous aussi. Nous rentrons dans l’appareil, test de moteurs, signature du livre de bord que me tend le brigadier, tout sourire. On peut y aller. Devant nous défile le Liberator "V", je demarre doucement. Les mécaniciens lèvent les pouces, à l’anglaise, pour nous souhaiter bonne chance.
          Nous faisons la même chose.
          Nous nous arrêtons sur la piste, devant nous une queue d’appareils dont le premier roule maintenant sur la piste de décollage. Il décolle, il est exactement 21h. Une autre machine rentre sur la piste, décollage et ainsi toutes les minutes un énorme Halifax rentre sur la piste et décolle.
          Je roule sur la piste, décolaaaaage !... On décolle en direction de la mer, c’est long et difficile. Avant la fin de la piste lorsqu’on a la chair de poule tellement on a la trouille de tomber dans l’eau, l’avion s’arrache du sol. Emilio ramène la manette du train d’atterrissage, après avoir rentré et bloqué le train il commence à rentrer les volets.
          Je fais un virage à 180 degrés, nous longeons l’aéroport où décolle justement un avion, après les adieux de nos spectateurs. Encore un virage à 180 degrés. En dessous de nous il y a le village de Brindisi, nous repassons au-dessus de l’aéroport en suivant le cap sur la Yougoslavie, on est au-dessus de la mer, il est 21h15. Nous prenons de l’altitude.




Liberator au-dessus de l’Adriatique


          L’aéroport et ses environs disparaissent dans le brouillard. Le mitrailleur arrière, le sergent-major Ruman – un blondinet très mince, de taille moyenne – fait des tirs d’essai avec ses mitrailettes. En bas c’est le crépuscule, devant nous on aperçoit d’énormes rouleaux de nuages sur lesquels, dans les derniers rayons du soleil, se détachent nettement les silhouettes des avions volant devant nous. La côte yougoslave apparaît, l’artillerie allemande tire à gauche de nous, l’un des nôtres doit trainer par là bas en charchant des ennuis.
          Nous sommes à la hauteur de 4.500 m. À droite de nous il y a le Liberator "V", en dessous de nous et même à notre niveau passent des lambeaux de nuages. J’entends Emilio qui dit au navigateur que nous volons contre le vent car les nuages filent en arrière. Le navigateur, le lieutenant St. Kleybor – de taille moyenne, beau gosse, cheveux châtains, piaffe dans le micro et dit:
          - Emil, tu n’es qu’un idiot...
          Sur la vitre on voit les premières gouttes de pluie, on rentre dans les nuages. Au même moment il se met à pleuvoir des seaux. Je mets les essuie-glaces mais cela ne change rien. Ah!.... l’eau commence à tomber sur mes genoux, c’est n’importe quoi. Il faut toujours qu’il y ait une fuite. Ruman se plaint qu’il se prend du jus de ses mitraillettes et des étincelles sautent entre les canons. Je le comprends car les hélices aussi sont déjà entourées d’un halo jaune-orange. Oh! des étincelles sautent même entre les essuie glaces et le cadre de la vitre, je touche le fuselage – et je me prends une décharge électrique d’enfer, tout l’avion est charge d’électricité. Même notre télégraphiste, Stasiu Dubiel, brun, le seul grand mec parmi nous – vient avec nous car il n’arrive pas à capter quoi que ce soit à la radio à part des crépitement.
          Le pilote, chorąży Jastrzebski – un blond trapu de taille moyenne – dit que M. Météo avait raison jusqu’à maintenant car le temps correspond exactement à ses pronostics, il ne manque plus que les sec... – il n’a même pas eu le temps de finir sa phrase que nous avons été tirés vers le haut, pratiquement à la verticale, et l’avion commence à danser. Le rock-and-roll de nos jours n’est rien à côté de ce que nous avons exécuté avec notre appareil. En plus apparaissent des éclairs qui nous aveuglent complétément.
          - Merde, mes cartes, crayons et compas, Stasiu, viens vite avec moi tu m’aideras à ramasser ce bazar – appelle St. Kleybor.
          - Stasiu Kleybor! Tu es à combien des Tatras? – demande Jastrzebski au navigateur.
          - Que diable sais-je, j’espère que nous sommes encore au dessus de l’Europe, Dubiel ne me donne aucune coordonnée, je ne vois pas les étoiles, la boussole danse tout comme cet avion, franchement je n’ai aucune idée où peuvent se trouver les Tatras...
          Après une heure et demi de cette danse macabre j’étais trempé de sueur et mes mains, complétement engourdies, refusaient de m’obéir. Oh! Enfin! Je sens que l’avion commence à se calmer tout doucement et réagit normalement aux commandes. Nous sortons des nuages. L’enfer reste derrière nous, le seul souvenir que j’en garde sont les deux ampoules sur les mains. Emilio c’est quand même un gars chouette. Il m’apporte une cigarette allumée. Nous sommes en Pologne!
          - Les Tatras derrière nous! – crie le mitrailleur de queue.
          Je descend, en dessous de nous il y a une petite rivière, je suis le cap que m’a communiqué le navigateur, cette petite rivière c’est en fait la Vistule. D’après le radioaltimètre, le plafond est actuellement de 30 mètres. Devant nous à droite des tirs d’artillerie. Oui, on est déjà à Kielce. Je me souviens – le 3 septembre 1939 à la gare de Kielce il y avait une seule petite pièce d’artillerie DAE qui tirait sur les avions allemands passant au-dessus. Aujourd’hui elles sont beaucoup plus nombreuses et c’est sur nous qu’elles tirent.
          Nous passons du côté gauche de la ville, c’est à ce moment là que nous appercevons quelques réflecteurs qui nous cherchent haut dans le ciel alors que nous ne sommes qu’à un peu plus de 10 mètres. Kielce sont derrière nous. De temps en temps nous survolons des bâtiments communs, on passe des bosquets d’arbres, des villages, quelqu’un nous fait signe avec une torche. Nous longeons le chemin de fer. On survole une petite ville avec sa gare, il semble qu’on a dépassé Mszczonow. Devant nous à droite on aperçoit une lueur dans le ciel – qu’est-ce que ça peut bien être ? C’est Varsovie qui brûle. Nous fixons ces flammes qui deviennent de plus en plus distinctes, qui parfois s’élancent vers le ciel avec des fontaines d’étincelles, et parfois s’estompent pour repartir ensuite à nouveau.
          Devant nous il y a une forêt, c’est la forêt de Kampinos, le navigateur me donne un nouveau cap et m’indique en même temps l’endroit à partir duquel je devrais le prendre. C’est un chemin qui rentre dans la forêt et se détache en bande grise sur le fond vert. Je fais un tour au-dessus de cet endroit et je prends le nouveau cap. Devant nous à nouveau les feux à Varsovie. Sur fond de la lueur je vois un Halifax qui approche de la ville. Le navigateur demande au dispatcheur – « bagagiste », comme nous l’appelons – le sergent Ilnicki – taille moyenne, mince, brun, avec une moustache à la Hitler – s’il a déjà préparé les conteneurs à larguer. "O.K.", répond –il.
          En dessous de nous on voit les premiers immeubles de Varsovie, je vois les conteneurs tomber et un Halifax qui repart à droite. Je réduis les gaz, sors le train d’atterrissage, les volets et j’ouvre les trappes de largage. Vitesse : 130 miles. Devant nous il y a le cimetière.
          - Largue! – j’entends la voix du navigateur et au même moment la machine a été tirée vers le haut. – Les conteneurs sont partis ! – me dit le navigateur.
          Emilio rentre le train d’atterrissage et les volets, je remets les gaz, l’appareil prend de la vitesse.
          - Quelques paquets sont tombés sur la route – crie le mitrailleur de queue.
          Plusieurs personnes courent sur la route pour les récupérer, de l’autre côté je vois d’autres qui accourent et qui tirent. Je détourne mes yeux des flammes et – malheur ! – devant nous plusieurs tires en notre direction. Mais ils visent trop haut. Un tour à droite, à nouveau en dessous je vois des rails, les toits des maisons, un tour à gauche, je prends le cap et nous allons en direction des Tatras. Encore des villages, et à nouveau des lumières des lampes de poche clignotent en notre direction. Varsovie en flammes est restée derrière nous mais personne ne parle. On dépasse Kielce où de nouveau on nous tire dessus mais sans nous atteindre. On passe au-dessus de la Vistule et on commence à monter. Devant nous à nouveau des nuages déchirés par les éclairs. Cette fois-ci c’est à Jastrzębski de galérer car c’est lui qui dirige l’avion depuis Varsovie. Mes genoux commencent à geler. Eh oui, j’ai encore oublié de les envelopper de vieux journaux. Nous rentrons dans les nuages et la danse macabre reprend. J’observe le pilote qui lutte, son visage est tout rouge.
          - Heniek! – dis-je au pilote – et si tu essayais de monter au-dessus des nuages, on a assez de carburant.
          Heniek commence à monter doucement mais la machine danse et chancelle comme ivre. A peine on a atteint 6 000 mètres sur l’altimètre que nous sommes à nouveau à 5.500 m.
          Enfin nous sommes au-dessus des nuages. Nous avons tous mis des masques à oxygène, altitude 6.500 mètres. Au dessus de nous - un ciel pur, les étoiles clignotent gentiment alors qu’à peine à 100 mètres en dessous c’est une mer de nuages turbulents. A l’est le ciel commence à prendre une teinte rouge, serait-ce le lever du soleil? Mais oui, on voit même un bout du disc solaire rouge, il se fait jour. Quelque chose tombe sur le fuselage, comme une poignée de petits pois ou de cailloux. Encore ! Tout d’un coup l’avion est tiré vers le haut. En même temps Heniek commence à se tordre dans tous les sens. L’avion descend, prend de la vitesse, repart vers le haut. A cet instant je vois devans nous de petits nuages noirs qui se forment. C’est l’artillerie qui est restée derrière. J’entends la voix de Stas au micro qui nous informe qu’on vient de dépasser Szeged.
          - Tu en a mis du temps à remarquer Szeged, même sans toi je le savais déjà – il n’y a que Szeged pour tirer aussi précisément dans les environs. – répond Heniek.
          Le soleil – grand et rouge – est sorti complètément des nuages, il fait jour ici. Seulement en bas il doit encore faire nuit, en plus il pleut. On se demande si dans la base il fait beau ou s’il pleut. Devant nous on aperçoit deux avions, le plus proche est un Halifax mais je n’arrive pas à reconnaître l’autre car il ressemble à un petit trait. Mais ça doit aussi être l’un des nôtres car avec un temps pareil personne d’autre n’aurait envie de décoller.
          - Heniek! Tu peux commencer à descendre – dit le navigateur au pilote – nous sommes au dessus de la mer.
          Oh! Encore de l’artillerie – les obus explosent diablement près. Heniek commence à perdre de la vitesse. Devant nous la mer! Deux petits bateaux naviguent vers nous, ce sont des vaisseaux-amiral. Nous sommes à 300 mètres d’altitude, on voit l’aéroport devant nous. Un Halifax approche de la piste, l’autre - une lettre "C"- demande l’autorisation d’atterrir. L’aéroport est juste en dessous de nous. - Heniek demande l’autorisation d’atterrir.
          - "P for Peter, you may pancake" – répond le sol.
          "Cecylia" vient de quitter la piste d’atterrissage, on atterrit à notre tour.
          - Volets à 20 degrès, sortir le train d’atterrissage - dit Heniek à Emil.
          - Volets et train sortis – répond Emilio.
          - Nous sommes dans l’axe de la piste, déployer les volets - dit Heniek.
          - Volets déployés - repond Emilio.
          Nous touchons le sol, l’appareil roule sur la piste avec un crissement de freins. Nous rejoignons notre place de stationnement où nous attendent nos mécaniciens et une voiture dans laquelle il y a déjà les autres équipages. Nous descendons de la machine, les mécaniciens accourent vers nous. C’est à eux qu’on raconte notre vol en premier. Nous montons dans la voiture et partons nous confesser chez notre officier des renseignements. Notre vol a duré dix heures et demi. Dans la voiture nous nous demandons les uns les autres comment c’était en mission, ce que nous avons vu, d’une manière générale nos équipages partegent leurs expériences.
          Nous arrivons à destination. Mais qu’est-ce qui se passe? Un brouhaha dans la salle comme si toute la division y était réunie. Nous rentrons dans la salle et nous reculons au meme moment. Tous les équipages sont réunis dans la salle, même le commandant de la base avec sa suite nous attendent. Il s’avère que puisque personne ne voulait aller se coucher au petit matin, malgré la fatigue au retour de la mission, le commandant de la base a demandé à major Arciuszkiewicz ce qu’ils attendaient. Evidemment notre major lui a dit que nous étions partis larguer du ravitaillement à Varsovie. Alors lui aussi est resté dans la salle à nous attendre. Chaque équipage à son tour rendait compte du vol et ce fut à peu de chose près la même chose: Varsovie brûle, la DCA est faible, la météo durant le vol infernale. Après la confession nos commandants sont partis au bureau de la division alors que nous sommes restés pour relater aux autres équipages tous les details du vol et du largage. Nous avons du répéter cela plusieurs fois car à chaque fois nos collègues posaient de nouvelles questions.
          Enfin nous partons à la cantine. Durant le petit déjeuner nous devons raconter encore une fois la même chose, cette fois-ci à nos cuisiniers. Bon, maintenant je vais me coucher. Je me couche, je ferme les yeux et je vois les flammes à Varsovie. Je revis à nouveau tout ce vol. Eh bien, si le temps était meilleur au dessus des Balkans et si le largage avait eu lieu non pas à Varsovie mais ailleurs, quelque part loin du pays, alors j’aurais pu trouver ce vol agréable. Comment est Varsovie maintenant? Qu’ont dit les Varsoviens en voyant nos avions?
          Avant de m’endormir j’entends la voix du speakeur de la radio polonaise de Londres qui dit que durant cette nuit des avions polonais ont procédé aux largages au-dessus de Varsovie. Je m’endors au son de « Par la fumée des incendies ».


          Le secours arriva au dernier moment car au matin du 5 août les Allemands lancèrent une offensive forte dans cette zone. Les unités de "Radoslaw" armées avec les armes provenant des largages, en particulier avec les Piat anti-char, resistèrent avec succès à l’ennemi.

          Les mémoires du caporal Boguslaw Kaufman dit "Bogiel" de l’unité "Radoslaw", bataillon "Parasol":
          Le 4 août, environ à 22h00, j’ai reçu l’ordre de partir avec un groupe désigné à la récuperation des largages. Je ne croyais pas que le largage aurait véritablement lieu. Je voyais la signalisation lumineuse à côté de la chapelle des Halperts au cimetière protestant. L’avion s’est approché du côté nord. Il volait à 200-300 mètres d’altitude. On lui tirait dessus de tellement d’endroits à la fois que j’ai réalisé à ce moment la superficie que contrôlaient les Allemands dans la ville et ses alentours. Dans la lumière des projecteurs j’ai reconnu que c’était un avion de type Consolidated B-24D, appelé Liberator. Quelques mois avant l’Insurrection j’avais fait son modèle réduit alors je n’ai eu aucune difficulte à le reconnaître. Le son emis par ses quatre moteurs était très différent de celui des avions allemands. Je me souviens qu’il était beaucoup plus haut et metallique. Les conteneurs avec des parachutes sont tombés très près de nous. L’un des parachutes ne s’était pas ouvert et la conteneur a percuté de plein fouet le toit d’une maison dans la rue Mireckiego, en face du cimetière protestant. Je voyais mes collègues qui s’efforcaient de le récupérer entre les planches en bois du toit cassé.



Les soldats de l’unite "Radoslaw" avec des Piats provenant des largages


          Le quatrième avion Liberator KG-827 du lieutenant Jan Mioduchowski avait été attaqué près de Sulejow par un chasseur nocturne allemand Ju 88. Endommagé, l’avion a fait demi-tour en larguant des conteneurs avec des armes au-dessus d’un complexe forestier dans la région de Piotrkow. Heureusement, ils ont été récupérés par une unite de maquisards du 25e régiment d’infanterie de l’Armée de l’Interieur opérant dans cette région. L’avion endommagé a rejoint la base et s’est crashé lors de l’atterrissage sur l’aéroport de Campo Casale. L’équipage s’en est sorti.



Liberator KG-827 au retour d’une mission


          Il faut se poser la question comment considérer l’insubordination militaire des pilotes polonais. Au XVIIIe siècle, dans l’empire austro-hongrois du temps de l’impératrice Marie-Thérèse il existait une haute distinction pour non-exécution de l’ordre. Elle fut attribuée à condition que l’insubordination ait resulté en un succès soit militaire soit diplomatique évident. Cette dstinction aurait très bien pu décorer les poitrines des quatre équipages polonais désobeissant.
          Le bilan de tout le raid fut tragique pour les équipages britanniques. Sur le chemin du retour, après le largage dans les zones prévues, 3 Halifax britanniques furent abattus par des chasseurs de nuit allemands dans la région de Tarnow et un dans la région de Sandomierz. De plus, un Halifax se crasha à l’atterrissage à Campo Casale (heureusement l’équipage s’en sortit sain et sauf). Un autre Halifax fut endommagé. 17 aviateurs perdirent la vie, 6 furent capturés par les Allemands, 5 furent récupérés par les unités du maqui de l’Armée de l’Intérieur.
          L’étendue des pertes britanniques ainsi que l’insubordination des équipages polonais résultèrent en une suspension de tous les vols prévus au dessus de la Pologne. Les gouvernements polonais et britannique échangèrent des dépeches. Le 6 août 1944 le Commandant en chef, le général Kazimierz Sosnkowski exigea une reprise immédiate de largages aériens sur Varsovie, l’aide de la brigade de parachutistes polonais et un status de combattant pour les soldats de l’Armée de l’Intérieur. Les Britanniques réagirent de façon conservatrice, entre autre pour des raisons d’attitude hostile de Staline qui se distança de la „bagarre de Varsovie”.
          Le 8 Août l’escadre polonaise obtint l’autorisation de reprendre les vols pour Varsovie. A 19h40, 2 Halifax et 1 Liberator décollèrent à 5 minutes d’intervalle. Les avions procédèrent avec succès aux largages dans la zone de Czerniakow. Toutes les machines revinrent à la base après 10 heures de vol. Lors du vol, l’équipage du Liberator qpperçut à deux reprises des couples de chasseurs de nuit allemands. Le mauvais temps encore une fois interrompit les vols pour Varsovie pendant plusieurs jours.

          Dans la nuit du 8 au 9 août, quatre équipages polonais réalisèrent des largages dans la région de Kampinos, près du village de Truskaw.
          Lors de la conférence du Commandement des Forces aériennes alliées en Méditerranee (MAAF) à Naples, à laquelle participa le premier-ministre Winston Churchill, on décida d’assigner en plus aux largages pour Varsovie la division 178 de la RAF et la Division 31 sud-africaine (SAAF). Churchill envoya également un télégramme à Jozef Staline lui demandant de des armes et des munitions pour Varsovie.
          Quant aux Americains, ils se déclarèrent prêts à effectuer un largage massif de jour à l’aide de leurs B-17, dans le cadre des opérations navettes "Frantic". Pour mener à bien cette opération il fut nécessaire d’avoir l’accord des Russes pour l’atterrissage des bombardiers américains à l’aéroport de Poltawa. On attendit l’accord des Russes pendant plus d’un mois.

          Dans la nuit du 12 au 13 août, 5 équipages polonais et 6 britanniques décollèrent de la base. 4 équipages polonais et 3 britanniques effectuèrent des largages sur la ville avec succès. Les appareils polonais kqrguèerent au-dessus de la place des Krasinski malgré une faible visibilité et des tirs ennemi forts. La zone fut signalée par des lumières en forme de croix dans un triangle de feux de camp. Les Britanniques larguèrent sur la place Napoléon. 3 équipages britanniques ne retrouvèrent pas leurs zones de largage et revinrent à la base avec tout leur chargement. Toutes les machines furent sérieusement endommagées par des tirs d’artillerie.

          Les mémoires du capitaine (F/L – Flight Lieutenant) Roman Chmiel, navigateur d’un Halifax JP-230 "N" commandé par le capitaine (F/L – Flight Lieutenant) Edmund Ladro:
          ... Nous décollions à sept appareils lors d’un temps incertain. A partir des côtes yougoslaves on a eu du brouillard, pas trop épais il est vrai mais atteignant l’altitude de 6.000 pieds (1.800 mètres). C’est pourquoi je dirigeais le pilote (le capitaine Edmund Ladro) à l’aide de l’astronavigation – c’est à dire en fonction des étoiles. On a essuyé de forts tirs de DCA en Yougoslavie au bord du Danube et aux environs de Bochnia en Pologne. Au-dessus de la Pologne, après avoir passé les Carpathes, le temps s’est considérablement amélioré ce qui n’a pas aidé que nous, mais également les chasseurs allemands. Nous les avons vu attaquer l’une de nos machines qui s’est enflammée en vol. Nous étions bien plus bas alors ils ne nous ont pas apperçu et on a atteint Pilica sans problème après l’avoir identifié facilement sur la carte. De là, on appercevait déjà la lueur de Varsovie en flammes.
          A partir de Pilica nous sommes descendus à 700 pieds (210 m). Au-dessus de Piaseczno nous avons pris cap sur Wilanow et nous nous sommes retrouvés au-dessus de la Vistule près de Sluzewiec où l’artilelrie allemande a de nouveau bien pris soin de nous. Nous voyons Varsovie brûler à plusieurs endroits.Une vue terrible. Vraiment terrible.
          Nous continuions très bas, éclairés par des projecteurs qui ne pouvaient cependant nous suivre constamment car nous étions couverts par l’ombre des quartiers plus en hauteur. Nous voyons les traînées des obus se refermer au-dessus de l’avion. Nous survolions la Vistule en-dessous du niveau des ponts que le pilote survolait pour redescendre à nouveau.
          Nous devions larguer les conteneurs avec les armes et les munitions au dessus de la place des Krasinski. A travers la fumée j’ai reconnu des rues. Nous avons tourné à gauche après le pont de Kierbedz, le pilote a immédiatement tiré la machine vers le haut pour le largage (les conteneurs sont équipés de parachutes qui peuvent se déployer seulement si le largage se fait a une certaine altitude). On a pu atteindre l’altitude nécessaire précisément au bon moment, lorsque nous approchions de la place des Krasinski au milieu de laquelle se trouvait le signal lumineux en forme de croix. Le vent dispersait la fumée qui cachait tout en dessous de l’avion et j’ai pu constater que le largage a été précis.
          Immédiatement après, le pilote est de nouveau descendu au maximum car les Allemands ont dirigé les tirs de toute l’artillerie sur notre appareil, bien eclairé de tous le côtés par les projecteurs. Dans la nacelle il y avait beaucoup de fumée car nous volions juste au-dessus des flammes. Le long de la voix ferrée vers Pruszkow et Skerniewice nous avons quitté la zone. Lorsque nous étions au dessus du fort de Bem nous avons essuyé des tirs d’artillerie d’un train blindé ce a quoi nous avons riposté par le feu de nos mitraillettes.
          Au retour, au pied des Carpathes j’ai appercu au sol les restes fumantes d’un avion qu’avaient attaqué à l’aller, devant nous, les chasseurs allemands.
          Le lendemain, la station radio de l’Armée de l’Intérieur a annoncé que tout notre largage a pu être récupéré sur la place des Krasinski.


          Suite à l’intervention de Churchill l’aide aux insurgés fut augmentée. MMAF destina aux largages sur Varsovie 20 Liberators du 205e groupe de bombardiers de la RAF.

          Dans la nuit du 13 au 14 août, 29 Liberators et 4 Halifax de la 148e et 178e division de la RAF et de la 31e division de la SAAF décollèrent pour Varsovie. Avec eux, 2 Liberators et 2 Halifax de l’escadre 1586 polonaise. Au briefging on distribua aux équipqges les cartes de Varsovie à l’echelle 1:25.000 et on leur indiqua deux buts fondamentaux: la place des Krasinski et la place Napoléon. Les pilotes reçurent l’ordre de larguer à tout prix, même au risque de perdre leurs machines. Les avions effectuèrent des largages dans les zones indiquées. 3 Liberators ne revinrent pas à la base: le canadien EV-961 se crasha sur le quartier de Praga, dans le parc de Paderewski juste après le largage. Un seul membre de l’équipage survecuc. Un EW-105 de la SAAF, en flammes après avoir essuyé des tirs, atterrit d’urgence "sur le ventre" à Okecie. Son équipage fut capturé par les Allemands. Un EW-138 sud-africain endommagé atterrit sur un aéroport en abandon près de Kiev. L’équipage fut capturé par les Russes avant d’être libéré.



Les insurgés avec des Piats provenants des largages


          Dans la nuit du 14 au 15 août 26 appareils décollerent pour Varsovie: 8 Liberators et 6 Halifax de la 148e et 178e division de la RAF, 7 Liberators de la 31e division de la SAAF et 2 Liberators et 3 Halifax de l’escadre polonaise 1586.
          12 appareils réussirent à larguer sur la ville: place des Krasinski, place Napoléon et sur la rive ouest de la Vistule, derrière le pont de Kierbedz. 8 machines ne purent larguer pour diverses raisons, essentiellement techniques.



Revue des armes larguées, rue Tamka


          Mémoires de lieutenant (F/O – Flying Officer) Antoni Zagorski, navigateur du Halifaxa JD-171 "B" commandé par le sergent-major (F/S – Flying Seargent) Kazimierz Jankowski:
          L’avion: Halifax du type 2; "B" - Baker-171. Une vieille carcasse, il a mauvaise reputation dans la division, lors des essais en vol avant une sortie de combat, un volet est sorti tout seul sur une aile.
          Base: Campo Casale, Brindisi.
          Destination: VARSOVIE.
          19h38. – Nous sommes dans les airs.
          19h44. - 1.000 pieds (300 m) au-dessus de la base, cap 024°, on prend de l’altitude.
          20h30. – Nous passons les côtes yougoslaves au nord d’Ochridske Pleso, on maintient le cap jusqu’à l’ile sur le Danube, un peu à l’est de Belgrad. Au-dessus de la mer et des montagnes de la Yougoslavie nous sommes en sécurité. L’orage annoncé nous attends quelque part après le Danube. Au-dessus de la première chaîne de montagnes bien sur le volet sort.... Une inclinaison forte sur la gauche et perte de vitesse. C’est fait, maintenant nous savons comment ca se passe dans la réalité....
          21h54. – En dessous de nous il y a le Danube. Cap 000°.Nous voulons conturner la ville de Nowy Sacz par l’est. C’est la base de départ des chasseurs nocturnes. Les premiers nuages orageux apparaissent. Nous volons à 9.000 pieds (2.700 m). C’est suffisant pour traverser les Carpathes en sécurité. Il est déconseillé d’aller plus haut avec notre Halifax car on doit économiser le carburant.
          22h25. – Orage avec fortes décharges électriques. La température baisse, possibilité de gel, début de givre. Heureusement ça s’arrête là et en plus les chasseurs nocturnes n’aiment pas cela non plus.
          23h05. - 9.400 pieds (2.820 m) d’altitude, forte baisse de la température, nous rentrons dans un front froid. Il faut penser à descendre. On ne voit pas la terre, on ne capte rien à la radio, on ne dispose d’aucune indication, et pas d’autres supports de navigation. Seulement de temps à autre on voit des étoiles éparses. Si nous commençons à descendre trop tôt, dans ces nuages on a toutes les chances de se prendre une montagne, si on le fait trop tard, on peut se faire mitrailler par les chasseurs de Nowy Sacz. J’apperçois l’étoile polaire, ca ne peut pas être autre chose!
          23h28. – Coordonnées sur Polaris: 49°32'. Oui! C’est presque Nowy Sącz! On n’a pas le temps de calculer une correction. Le navigateur à l’équipage: "On descend, tout le monde guette la terre, mitrailleur de queue guette les chasseurs! Les nuages sont de plus en plus épars, on voit la terre, nous nous efforcons de descendre en suivant la descente du terrain. Soudain, plus de nuages. Devant nous plein de lumières, l’altitude et la nuit. J’ai l’impression qu’on est plus haut qu’on ne l’est réalite. Mais pas le temps de s’autoanalyser. Autour de nous – de plus en plus de fusées éclairantes, des projecteurs devant nous. Les deux mitrailleurs crient: "Chasseur à droite!" – et juste après on entend la voix posée du mitrailleur de queue, Janek Gieraga: "Kaziu, je le vois". C’est le mitrailleur de queue qui prend les commandes. Les fusées éclairantes semblent être des projecteurs, ils vont droit sur nous ! Non ! C’est plutôt nous qui allons vers eux, là où il y a un moment il y avait le chasseur. Enfin lui aussi est tout près! "Kaziu, virage à droite et descend sous lui".Nous descendons vite. À gauche – des fusées dorées volent juste devant nous. C’est un autre chasseur qui approche. On l’évite.... et nous sommes tout bas, au dessus de la Vistule. Tout devient clair : en dessous de nous, au sol, des combats se déroulent sur un grand arc, entre les alentours de Tarnow et jusqu’à quelque part près de Sandomierz, peut être meme plus loin. Nous avons dépassé l’extrémité de l’arc vers l’ouest... On ne voit plus les lumières et les fusées eclairantes, plus de projecteurs et de balles tracantes... Tout ce que je vois devant ce sont des lumières couleur framboise au sol, comme des balises... Mais pourquoi il y en a autant? Au bout d’un moment je comprends: ce sont les cheminées incandescents des villages brûles. C’est apparemment la limite de l’offensive soviétique qui maintenant s’en va. Nous volons à entre 50 et 100 m d’altitude. Je cherche des yeux le halo au-dessus de Varsovie. La nuit est noire mais on y voit quand même, cependant je ne distingue rien... Après quelques minutes j’apperçois une colonne de lumière, puis d’autres... Des explosions ! Enfin j’ai compris – ce sont des avions abattus. Cette guerre au sol nous a fait aller un peu vers l’ouest. Notre point, à partir duquel on doit rejoindre la zone de largage ce sont des étangs près de Jeziorna. De là, en suivant le cap 340°, contre le vent, je préois rejoindre la zonede largage place Napoléon. Le jardin des Krasinski me semble peut réaliste. Je change de cap à droite, vers la Vistule.... Soudain des deux côtés on voit arriver sur nous une marée de balles traçantes. Pendant un court moment nous allons sous leur trajet lumineux, plus près du sol que des balles. Non! Ce n’est pas en notre honneur car d’un côté on voit des « oranges » et de l’autre des feux verts. C’est un combat d’artillerie! Un bref instant de noir total et à nouveau nous voyons la lueur de plusieurs incendies.... Est-ce Naleczow? C’est là bas qu’il y a ma mère et ma soeur! Non, peut-être ce n’est pas ça... Pulawy, Deblin? D’autres villages dans cette zone? Au bout d’un moment nous repassons au-dessus de la Vistule et je vois le bout de l’aile gauche qui semble toucher la berge... Pas très haute cette berge! Encore un moment et je vois Jeziorne et ses étangs. Cap à 340°. "Kaziu, altitude 400, nous prenons le cap sur la zone!" En dessous de nous de plus en plus de maisons, la fumée apparait. Nous pénétrons dans un épais nuage de fumée, à travers lequel filtrent de maigres lueurs d’obus. La fumée concorde avec la direction du vent qu’on nous a communiquée, j’en déduis qu’ on maintient le cap. Le navigatuer à l’équipage: "La trappe du compartiment à bombes ouverte! Préparer vous à larguer les conteneurs! Le pilote confirme: "La trappe du compartiment à bombes ouverte..." Nous devrions déjà aperçevoir le bâtiment du Prudential, place Napoléon. Depuis Jeziorna c’est à 4-5 minutes de vol.... Visibilité zéro, je n’apperçois même pas de traçeurs... Peut être avons-nous loupé ce but facile ? Je décide de contourner Varsovie par l’ouest. Cap 270°. Bientôt nous sommes dans le noir complet, mais il n’y a plus de fumée. Cap 000°. Nous nous rapprochons du sol. D’une voix posée, Mundek Szajner dit: "Notre réservoir est troué, pas mal de carburant a filé, je passe tous les moteurs sur ce réservoir troué. Altitude 50 mètres. Quelqu’un demande si on arrivera à atteindre la base... Au bout d’un moment, à l’est de nous s’ouvre le panorama de Varsovie en flammes. Nous reconnaissons l’ossature incandescante de la Gare Centrale, et derrière, un peu plus loin, on voit la silhouette effilée du Prudential au milieu des flammes. Je pense à mes proches qui sont là bas, au milieu de ces flammes. Permi les insurgés il y a Lula... A Zoliborz, ma tante Marynia... des deux côtés, assez haut au dessus de nous, se croisent les feux des projecteurs... Nous espérons qu’ils ne descendront pas suffisemment bas pour nous attraper... C’est alors qu’ils nous attrapent. Devant le nez de notre carcasse, une avalanche de balles traçantes. C’est comme si l’avion disparaissait. J’étais sûr qu’on n’allait pas tarder à heurter le sol. J’ai l’impression que la grêle tombe sur la partie arrière du fuselage.... Illusion! C’est Janek Gieraga qui riposte avec ses quatre mitraillettes. De nouveau la nuit et le silnce. Cap 090°. Je vois les rues mais je ne vois pas de feu. Cap à 160°. En dessous de nous un peu plus de rues et de maisons... et une mer de feu. Comment reconnaître les signaux dans ce feu? L’horizon est très réduit, la lueur du feu voile tout ce qui se trouve plus loin. J’estime qu’on ne doit pas être loin du jardin des Krasinski... Et de nouveau on se fait prendre par les projecteurs. Ils nous aveuglent complétément. J’entends la voix du pilote: "Couvre moi". L’avion tangue. Quelques secondes avant d’être à nouveau dans le noir absolu. Enfin j’arrive à voir. Ce noir en dessous de nous est plus profond. C’est la forêt sur la rive est de la Vistule. Nous sommes assez haut, quelque part au dessus de Choszczowka, l’avion prend un virage plat à gauche. Devant nous il y a Legionowo.... La bas, il y a Wanda et Tadzik. Je vois la courbe claire de la Vistule. Je vois des lumières... "Kaziu, à gauche toute". Je vois le site puis plusieurs autres. C’est calme ici, ce sont les nôtres qui contrôlent le terrain.
          01h45. – les conteneurs sont largués. Je vois exactement les parachutes se poser sur des masures, des gens qui regardent vers nous.
          01h47. - Cap 190°, retour à la base! Pourvu qu’on atteigne la Yougoslavie, de là il y a toujours plus de chances de rejoindre notre unité à Brindisi. Un silence absolu règne autour. Pas un tir, pas une lumière. Dans l’air aussi. Nous naviguons comme sur un lac calme. Notre "B" comme Baker nous porte bien. Nous avons dépassé Nowy Sacz, nous survolons les Tatras, à droite nous voyons leur plus hauts sommets. Nous rentrons dans des nuages moyens, on arrive à reconnaître de grandes vallées et fleuves... Oui, c’est conforme à la carte. Les étoiles pâlissent, c’est bientôt l‘aube. Nous survolons les montagnes et la personne la plus importante à bord est notre ingénieur de bord, Mundek Szajner. Il a disposé les mitrailleurs de façon à ce qu’ils puissent observer les voyants des réservoirs de carburant, très nombreux dans cette carcasse. "Guettez les voyants rouges, s’ils s’allument ça signifie qu’il n’y a plus de carburant, rapporter immédiatement", ordonne-t-il. Il console le pilote en disant que dès que l’un des moteurs cale, il switchera le réservoir. C’est ainsi, réservoir après réservoir qu’on les vide jusqu’au bout comme des bouteilles de whisky écossais. Le soleil est maintenant levé. Nous pouvons descendre. En dessous de nous, apparemment une „grande capitale”. Cetynia ou peut être même Tirana? Nous la survolons très bas et en plein soleil. Nous changeons de cap pour à peu près 245° et je demande au radiotélégraphiste un QTE ou QDM. A ma surprise, il répond de suite : 256°. Je ne me suis trompé que de très peu et eux, ils ont du nous prendre pour des macchabés là bas.
          06h38. – On atterrit. Après 11 heures et dix minutes de vol sur ce p.... de Halifax 2, avec les dernières gouttes de carburant. A la cantine, l’officier technique de l’escadre m’informe, avec un grand sourire, qu’en plus de quelques trous mineurs, on nous a troué également le réservoir de glycol de refroidissement, heureusement en haut, donc tout n’a pas fuit. Au briefing nous avons appris que « cette nuit, huit machines ont été abbatues, dont deux de notre escadre et que seulement nous et un autre équipage avons réussi notre mission ».


          Nous essuyâmes de grosse pertes. Les pertes opérationnelles atteignirent 31% ce dont on informa Londres et le général Bor Komorowski. Quatre avions furent abbatus au dessus de Varsovie: le Halifax JN-926 de la 148e division de la RAF fut abbatu rue Redutowa (quartier de Wola), une partie de l’équipage perit; le Liberator EW-264 de la 178e division de la RAF tomba en flammes à Bateryjka (quartier d’Ochota), tout son équipage périt; le Liberator KG-836 de la 31e division de la SAAF se crasha sur les immeubles rue Miodowa (Vieux Centre), tous son équipage périt; le Liberator KG-871 de la 31e division de la SAAF, abbatu par l’artillerie antiaérienne, se crasha à Goledzinow (quartier de Praga), tout son équipage périt.
          Ce fut sur les femmes que reposa le contact direct avec les avions effectuant des largages. Par exemple à la place des Krasinski, dans le jardin des Krasinski il y avait toujours un groupe de femmes ou de jeunes filles qui attendaient. A la tombée de la nuit, les femmes se mettaient par terre en formant une figure géometrique convenue d’avance – une croix, une étoile – et elles attendaient l’arrivée des avions avec des torches sur leur poitrine.
          L’un des largage fut assez dramatique. Comme on l’a mentionné plus tôt, l’une des machines en flammes survolait rue Miodowa en direction de la place des Krasinski. Il se peut que le pilote ait voulu atterrir mais à 100 mètres avant la place il accrocha avec une aile les toits des immeubles. Les réservoirs de carburant dans les deux ailes causèrent d’importants incendies dans les immeubles des deux côtés de la rue. L’avion tomba mais il n’est pas exclu que s’il avait continué encore sur 100 mètres, il serait tombé sur ces femmes qui attendaient pour signaler la zone de largage.



Les débris d’un Liberator sud-africain, rue Miodowa


          Au numéro 15 rue Dluga se trouvait l’endroit de stockage et de distribution des largages. Bien sûr ceux qui étaient le plus près étaient les mieux servis. C’est d’ici que le mateéiel partait aux différentes unités. Tout cela se trouva sous la responsabilité des femmes.



La distribution des armes provenant des largages


          C’est sur le chemin du retour à la base qu’on perdit quatre autres avions: le Liberator KG-890 de l’escadre polonaise 1586 fut abbatu près de Bochnia par des chasseurs allemands, tout l’équipage périt; le Liberator KG-873 de la 178e division de la RAF fut abbatu dans la région de Tarnow, tout l’équipage périt; le Liberator KG-828 de la 178e division de la RAF fut abbatu près de Tarnow, tout son equipage périt; le Liberator KG-939 de la 31e division de la SAAF, abbatu au-dessus de Varsovie par a DCA, tomba près de Michalin dans la région d’Otwock à côté de Varsovie, deux membres d’equipage périrent, les autres contactèrent une unité soviétique et furent arrêtés pour ensuite être transmis aux britanniques.

          Le général Bor Komorowski envoya une dépeche au Quartier Général: "...L’effort de votre aviation nous a permis de continuer notre lutte. Varsovie combattante fait part de sa gratitude et de sa reconnaissance aux héros. Nous nous inclinons devant les équipages tués au combat..."

          L’énorme effort des équipages ne fut qu’un succès partiel. Malheureusement environ 30% de conteneurs atterrirent sur les territoires occupés par les Allemands. En deux jours, 11 machines ne purent revenir à leurs aéroports d’origine, plusieurs autres bombardiers, lourdement endommagés, partirent à la casse. Les divisions britanniques perdirent cinq équipages, la division sud-africaine également cinq équipages, et l’escadre polonaise un équipage. Ce futl’équipage le plus expérimenté, celui du capitaine Zbigniew Szostak qui avait effectué plusieurs sorties réussies sur Varsovie.



L’équipage du Liberator de F/L Szostak


          Suite aux lourdes pertes subies, le marechal Slessor de nouveau suspendit les vols et les largages sur Varsovie. Il autorisa cependant les vols sur Kampinos, la forêt de Chojnow et sur d’autres régions boisées aux alentours de Varsovie.

          Dans la nuit du 15 au 16 août, 3 équipages polonais et 6 britanniques décollèrent pour cette zone. 5 d’entre eux réussirent leur mission en effectuant des largages dans la région de Kampinos, 4 revinrent à la base avec leur chargement.

          Dans la nuit du 16 au 17 août, 18 machines décollèrent de la base : 5 bombardiers polonais, 13 de la RAF et de la SAAF. 15 d’entre eux effectuèrent des largages dans la région de Kampinos. Le raid subit de lourdes pertes, 2 équipages polonais, 3 de la SAAF et 1 de la RAF ne revinrent pas à la base. L’Halifax JP-220 de l’escadre 1586 de la PAF fut touché par un chasseur nocturne près de Bochnia, le radiotélégraphiste fut tué, le pilote atterrit d’urgence et, blessé, fut fait prisonnier. Le reste de l’équipage sauta en parachute et fut récupéré par l’Armée de l’Intérieur.

          Les mémoires de chorązy (W/O – Warrant Officer) Leszek Owsiany, commandant du Halifax JP-220 "C":
          - Le but de l’opération nocturne d’aujourd’hui est Varsovie et la forêt de Kampinos – c’est avec ces mots que l’officier des services de renseignement a commencé le briefing des équipages. Sur mur se trouve la carte de l’Europe et au milieu, dans un cercle rouge – Varsovie. A côté, il y a une carte de Varsovie avec les terrains contrôlés par les insurgés. – L’itinéraire est libre, selon l’appréciation de l’équipage, en tenant compte d’eviter les nouveaux points de la DCA et de la disposition des escadres de chasseurs nocturnes allemands. Tout cela figurait sur le plan opérationnel d’après les dernières informations des services de renseignement. L’heure de départ est libre mais il faut avoir atteint la destination entre 0h00 et 2h00 pour éviter d’être pris en chasse au retour par les chasseurs allemands, au dessus de la Hongrie et de la Yougoslavie. Rappelez-vous que le soileil se leve a 4h20 – a terminé l’officier.
          A partir du moment ou le front de l’est s’était déplacé sur le territoire polonais, les escadres de chasseurs allemands ont été regroupées en Hongrie, en Tchécoslovaquie, en Roumanie et en Pologne. Il y en avait de plus en plus sur notre plan opérationnel. Mon équipage a vu arriver ce jour là un second pilote, le sergent Kretowicz, un second navigateur lieutenant Lopuszanski et lieutenant Bernhardt. Ces garçons là arrivaient d’Angleterre pour ravitailler les rangs et ils devaient effectuer des vols d’entraînement pour découvrir le déroulement des opérations.
          Il est 14h, le soleil brûle sans pitié dans un ciel sans nuage. Les bon vieux Halifax – dispersés le long de la route autour de l’aéroport semblent vibrer dans l’air brûlant juste au-dessus du sol. Notre "E" comme Ewa s’est affaissé sur ses amortisseurs, rempli à raz bord. Une douche d’appoint, in stallée sur le toit plat de notre quartier nous débarasse de la sueur et nous procure une brève sensation de fraîcheur.
          Il est 18h30. Avant la mise en route des moteurs, le commandant arrive et nous propose des cigarettes en disant:
          - A vrai dire l’équipage entier a fait son tour mais vu la situation à Varsovie et le manque d’équipages on vous a salectionna encore pour aujourd’hui. Ce sera votre dernier vol. Dans trois jours vous partirez de Naples pour l’Angleterre.
          - Vous rigolez, major. Pas le dernier vol – a protesté Stefek Bohanes – D’opération peut-être mais pas dernier. Au milieu d’une gaité générale le commendant a demandé:
          - Depuis quand es-tu supersticieux?
          19h – le départ. Huit mille chevaux à fond tirent la machine en avant. Les hercules émettent un bruissement bas et les hélices soulèvent des nuages de poussière du „runway” fabriqué en metal poreux. L’appareil lève la queue lentement et prend de la vitesse. Surchargé, il décolle avec peine au bout de la piste. Les ailes ne trouvent pas leur appui complet dans l’air brûlant et nous prenons de l’altitude très lentement. La température à l’intérieur de la machine commence à descendre et avec la fraîcheur nous retrouvons nos souffles. Je remets les commandes au second pilote pour revêtir ma tenue de combat. Le reste de l’équipage fait la même chose. Lorsque nous atteignons 900 pieds d’altitude nous mettons le cap à 030° et tout en montant nous disons au revoir à l’aéroport et à l’accueillante côte italienne.
          A 20h on survole la côte albanaise. Le disc du soleil commence tout doucement à descendre. Le ciel est sans un nuage. Nous survolons des terrains montagneux. Nous savons que là encore nous sommes en sécurité car les bases des chasseurs se trouvent plus loin au nord. Le capitaine Schöffer, navigateur, un vieux de la vieille, corrige le cap.
          - Attention – dit le mitrailleur arrière – un appareil non identifié derrière nous à gauche. Il s’avère rapidement que c’est un "Liberator", l’un des deux dans notre escadre. Le mitrailleur arrière, Jasiu Lück, qui a une grande expérience au combat, était vraiment un excellent mitrailleur et il s’y connaissait à merveille à la tactique de lutte contre les chasseurs. Le vol se déroule calmement, les moteurs travaillent bien, à la vitesse de croisière. La nuit vient de tomber. Stefek est passé à la tourelle "astro" et a communiqué à la base qu’il surveille tout. Soudain, la monotonie du vol est interrompue par des tirs antiaériens forts à gauche. On voit des fusées éclairantes et des marqueurs. Oui, c’est l’expédition de bombardiers sur Budapest annoncée par notre service de renseignement lors du briefing. En bas apparaissent de gros incendies, le ciel commence à prendre une teinte roseâtre pour enfin s’inflammer d’une forte lueur. Dans notre machine tout est calme à l’exception de nouveaux membres de l’équipage pour qui tout cela est nouveau car c’est leur première sortie de combat. Une conversation se lie :
          - Vous croyez que ça c’est du feu? Le feu vous en verrez à Varsovie, pour le moment vous feriez mieux de rester calmes et de guetter les chasseurs.
          - Allo, Leszek? C’est Wladziu. Prends le cap à 330. Dans une heure vous atteignerez les Tatras. Tout va bien.
          Au dessus de la Tchécoslovaquie on se fait prendre par les lumières de quatre projecteurs. Jasiu envoit une série de quatre brownings. Les projecteurs s’éteignent. Devant nous apparaissent des nuages percés par la suite par le sommet de Giewont. À chaque mission au pays, la vue de Giewont nous rend joyeux car il signifie que bientôt on sera au-dessus de la Pologne, de notre pays cheri.
          Au momentde survoler les Tatras, Stefek dit:
          - Les gars, on est chez nous, en Pologne, à la maison. Vous voyez Tarnow sur la droite ? C’est la bas qu’il y a ma maison, ma mère et ma famille. Et il rajoute: - Dieu seul sait quand je vous reverrai-je.
          J’entends la voix de Wladek:
          - Cap 015, tu peux commencer à descendre.
          Après avoir passé la Vistule et corrigé un peu le cap c’est là que le plaisir commence. Je soulève le siège, entrouvre la vitre pour mieux voir et pour respirer à fond l’air du pays. Je peux ressentir la tension qui monte au sein de l’équipage. Plus qu’un seul but – arriver au-dessus de Varsovie et larguer le chargement le plus précisément possible.
          La DCA a certainement du augmenter. Et ces incendies qui rendent si difficile le repérage de la zone. On apperçoit une balise allemande rouge. C’est l’aéroport de Kielce. C’est d’ici, le 1er septembre 1939, que j’ai effectué mon premier vol autonome sur un RWD-8. À droite au loin on voit les incendies, c’est la ligne de front. On voit les flashs de l’artillerie lourde. Devant nous, le ciel clair. Au fur et à mesure que nous approchons, je comprends pourquoi. C’est la lueur de Varsovie en flammes. Le second pilote me donne un coup de coude et demande en montrant la lueur:
          - C’est possible que ce soit Varsovie?
          J’ai acquiescé. C’est alors qu’il a serré le poing et j’ai entendu dans mon casque Hitler et sa bande en prendre pour leur grade. Wladek dit:
          - Bientot c’est Wilanow, je te dirai, et pour le reste - tu sais ce qu’il faut faire.
          Voilà le plan: nous devons larguer sur la place Napoléon. Pour éviter la DCA autour de Varsovie, nous avons décidé d’aller de Wilanow au dessus de la Vistule jusqu’au pont de Poniatowski, puis d’atteindre la destination en volant au-dessus des toits. Virage à droite, puis à gauche, je pousse un peu la manette, le fuselage presque effleure l’eau. Nous approchons du pont en volant au milieu du fleuve. Nous sentons dans la cabine l’odeur de la ville qui brûle. Soudain, à droite, des réflecteurs du quartier de Prague sur la berge, nous attrapent. On est totalement pris de court. Seraient-ce des Allemands, là bas ? Une serie de la tourelle arrière les fait éteindre immédiatement. Les piles du pont approchent, on remonte légèrement et, dans un virage, l’appareil arrive au-dessus des toits. Les nuages de fumée et la lumière des incendies qui se reflète dans la vitre réduisent la visibilité horizontale pratiquement à zéro. Je crie au navigateur:
          - La trappe ouverte – et je réduis la vitesse.
          J’entends:
          - À gauche, à gauche, c’est bien... – c’est à ce moment là que j’apperçois devant nous pendant une fraction de seconde le « Prudential ». Une légère inclinaison de l’appareil, à peine de quoi contournenr le bâtiment. L’avion sursaute violemment : le chargement vient d’être largué. La machine vit comme une seconde jeunesse. Et nous aussi on est contents d’avoir réussi le plus important. Je ferme la trappe du compartiment et je remets les gaz. On accélère. La Citadelle ouvre le feu juste devant nous, on voit rouler des « perles ». C’est un fusil mitrailleur allemand. Le mitrailleur avant ne reste pas les bras croisés et envoie quelques séries courtes. La fumée se disperse un peu et nous quittons la ville. Nous prenons un léger virage à gauche et au bout d’un moment je reconnais l’étang de Wlochy. On a dépassé la gare de Wlochy et nous arrivons au-dessus de l’avenue Zwirki et Wigury. C’est la que se dresse devant nous un véritable mur de feu envoyé par la DCA légère (ce n’est que plus tard que j’apprends que c’étaient les divisions anti-char allemandes qui stationnaient là bas). C’est l’altitude et la vitesse basse qui nous ont sauvées. Au fur et à mesure que nous nous éloignons de Varsovie, tout le monde se déténd.
          Pour le moment, chacun de nous revivait tout en son for intérieur et le silence régnait dans la cabine. J’entends une litanie d’insultes dans les écouteurs – c’est Jasiu, le mitrailleur arrière:
          - Wladziu, es-tu sûr que le largage a été précis?
          - Oui, à 100%.
          - Bien.
          Heureusement qu’on a réussi à la première approche.
          - Qu’est-ce qu’ils mitraillent – dit Stefek – ça doit être un des Anglais qui s’en prend plein la figure, il vole trop haut car c’est ce que recommandent les "Kings Regulation" et ils s’y tiennent.
          - Alors que là il faut du bon sens – a dit, le mécanicien de bord.
          - Grzesiu, les réservoirs sont entiers?
          Il répond que les jauges indiquent que tout va bien. Le second pilote fait passer une cigarette allumée et nous la fumons avec plaisir. Wladek corrige le cap et annonce que dans cinq heures nous seront à Brindisi. La fatigue et les émotions se font sentir. Pratiquement chaque nuit on passe dix heures dans les airs. Un rase-motte agréable, bonne visibilité, je souhaite que tout le trajet se passe comme ça jusqu’à la base. Toutefois, le souvenir des chasseurs près de Nowy Sacz deux jours avant ne me quittait pas. Il y a eu des nuages et Jasiu a encore été à la hauteur. Ca ne ressemble plus aux vols tranquilles du temps où le front était en Ukraine, où il n’y avait pas d’Allemands du tout dans les airs. Quelqu’un me donne un coup de coude et me passe un gobelet. Ah, du bon vin avec de la limonade et un glaçon.
          Stefek dit d’une voix anxieuse:
          - Est-ce que notre conteneur n’a pas été endommagee en tombant?
          Avant une sortie, chaque équipage rajoutait aux conteneurs des paquets d’oranges, d’amandes, de figues et un mot disant que c’était de la part de l’équipage.
          On a dépassé la Vistule et la visibilité a commencé à se réduire. Après une brève concertation, j’ai décidé de commencer à monter. A 3000 pieds le brouillard est épais comme du lait. Nous montons pour survoler les Tatras. Wladek annonce que dans 15 minutes nous allons passer la frontière. Les moteurs travaillent avec régularité, le silence règne dans l’avion. Soudain je ressens une forte secousse, la manette part vers l’avant, je vois un flash sur les vitres de la cabine. L’appareil commence soudain à piquer. J’attrape la manette et elle s’arrache de mes mains vers l’avant. L’appareil prend de la vitesse. Avec l’aide du second pilote (car il y avait deux postes de pilotage) je réussis à mettre l’avion en descente douce, mais nous n’arrivons toujours pas à le remettre à l’horizontale. Je n’entends rien dans mon casque – j’en déduis que la radio est en panne. Nous avons perdu environ mille pieds. Le sol n’est donc pas loin. J’évalue la situation et je ne vois qu’une seule solution. Je crie au second pilote:
          - On saute!!!
          Un courant d’air pénètre dans la cabine et la poussière du sol nous aveugle. La trappe est ouverte et je vois à travers elle les silhouettes disparaître l’une après l’autre. Je m’efforce de maintenir l’appareil le plus droit possible pour assurer à l’équipage un maximum de sécurité durant le saut. Il est temps pour moi aussi. Mais où est mon parachute? Je vois que le mécanicien de bord ne me l’a pas passe alors que cela fait partie de ses devoirs. Je regarde la trappe et je crie:
          - Le parachute!
          C’est à ce moment là que des mains me passent le parachute. La situation est critique. La manette est contre ma poitrine ce qui ne me permet pas d’accrocher les mousquetons. Repousser la manette ferait immediatement piquer l’avion ce qui m’empécherait d’atteindre la trappe. Je crie à Jasiu : Saute!
          Mais il fait « non » de la tête. Il n’y a donc plus qu’une seule solution – l’atterrissage d’urgence.
          Gaz à fond, un pas de l’hélice. Les moteurs sont à leur puissance maximum ce qui fait se relever un peu l’avant de l’avion, mais il n’est pas encore à l’horizontale.Je fais un virage à 180° et on avance à une grande vitesse, le plus loin sera le mieux, vers un terrain plus plat. Combien de temps – je n’en sais rien. Cela m’a semblé une éternité. La terre commence à se rapprocher, la visibilité est meilleure. Janek est au poste du mécanicien. Je vois les arbres qui fuient rapidement devant nous. J’ouvre le toit de la cabine pour faciliter la sortie en cas d’incendie. J’allume le projecteur et dans sa lumière je vois des bâtiments à 300 mètres de nous. À droite nous avons dépassé un arbre en dessous de son sommet. Je sens que nous ne pourrons pas survoler les bâtiments devant nous. C’est la fin du vol.
          Tout ce dont je me souviens c’est d’avoir tapé de ma main sur les interrupteurs des allumeurs.
          J’avais froid et j’avais des frissons. J’ai entendu ces mots:
          - Comme tu est casssé, Lechu.
          Lorsque j’ai recouvert la conscience – j’étais allongé sur un canapé sur mon parachute déployé. J’entendais vaguement une femme pleurer.
          - Les Allemands vont tous nous fusiller. – La porte s’ouvre et entre Jasiu avec deux jeunes hommes.
          - On ne peut pas le transporter dans cet état trente kilomètres à travers la montagne. Tant pis, il faut qu’il reste, c’est pour son bien. J’ai compris – ce sera la prison. Ce n’est que maintenant que je vois que Janek est entiers à l’exception d’un mouchoir dont on lui a bandé le poignet. On se serre cordialement les mains gauches, qui sont valides – prends soin de toi, Lechu, au revoir.
          Il est encore revenu depuis la porte pour m’enlever la ceinture et il m’a posé le revolver entre les jambes. – Cela peut te servir.
          Peu après j’ai distingué le bruit d’une voiture qui s’est bientôt arrêté. Puis le bruit de chaussures ferrées dans le couloir. Ce sont les Allemands. C’est donc la prison.
          Un homme costaud se tient à la porte. Un "Schmeisser" pend sur sa poitrine. En hochant la tête il dit:
          - Ja, ja mein lieber.
          Soudain il voit l’écusson sur mon uniforme. Il s’approche et d’un coup il l’arrache pour la mettre dans sa poche. Entre ses dents serrées il siffle:
          - Polnische Schwein.
          J’ai ressenti une douleur terrible dans le côté droit et, comme à travers un mur, j’ai entendu les paroles suivantes prononcées en un polonais impeccable:
          - Félicitations, pour vous la guerre est finie, vous n’avez plus à craindre pour votre vie. Nous devons maintenant remplir les formulaires de la Croix-Rouge. Vous avez de la famille en Pologne, des collègues en Grande Bretagne, je pense que vous tenez à leur communiquer cette bonne nouvelle. Alors – unité, grade et numéro de matricule? Et maintenant le numéro de votre unité, lieu de stationnement, nom de votre commandant...


          Le Liberator EW-275 de l’escadre 1586e de la PAF fut abbatu par un chasseur nocturne dans la région de Tarnow, 5 membres d’équipage périrent en sautant en parachute à basse altitude, et deux dans l’explosion de l’avion; le Liberator KG-933 de la 178e Division de la RAF se crasha à Zablocie, dans les faubourgs de Cracovie, 3 membres d’équipage périrent; le Liberator EW-248 de la 31e Division de la SAAF fut abbatu par un chasseur nocturne dans la région de Cracovie et il explosa en vol, seul le second pilote réussit à sauter en parachute et fut récupére par l’Armée de l’Intérieur, les 7 autres membres de l’équipage périrent; le Liberator EW-161 de la 31e Division de la SAAF fut rattrapé par deux chasseurs dans la région de Tarnow, tout l’équipage périt; le Liberator EV-941 de la 31e Division de la SAAF fut abattu dans la région de Cracovie, tout l’éuipage périt.
          Suite à de lourdes pertes, on retira des missions pour la Pologne la 178e division de la RAF et la 31e division de la SAAF. L’escadre polonaise 1586 et la 148e division de la RAF attendaient de nouvelles machines.

          Dans la nuit du 17 au 18 août quatre équipages polonais partirent pour la foret de Kampinos dont un seul réussit sa mission en largant sur la forêt de Kabaty.
          Vedredi 18 août, le général Bor Komorowski envoya une dépeche: "...Cette nuit c’est le centre ville et Kampinos qui veillent. Kabaty sont grillés. Concentration de forces ennemies..."
          Le commandant de la base, le major Jadzwinski, sans rien dire aux Anglais, envoya 3 Halifax polonais à la forêt de Kampinos. Avec une très faible visibilité, seul un équipage réussit en partie sa mission. Les autres appareils revinrent à la base avec leur chargement. Avec chaque jour qui passait, l’aide pour Varsovie devanait de plus en plus difficile.

          Le 20 août, on retira des missions la 148e division de la RAF. Seule l’escadre polonaise 1586 obtint l’autorisation de voler.
          Du 20 au 28 août 1944, 38 vols pour Varsovie et la foret de Kampinos furent effectués exclusivement par l’escadre 1586 de la PAF, dont trois réussirent des largages sur Varsovie (2 rue Marszalkowska et un au quartier de Mokotow). 18 largages furent effectués dans les zones de Kampinos ou ses environs. Quatre avions de l’escadre polonaise 1586 furent été abattus.

          Les mémoires du sous lieutenant(P/O – Pilot Officer) Zygmunt Nowicki, radiotélégraphiste du Liberator KG-927 "S" commandé par le capitaine (F/L – Flight Lieutenant) Jan Mioduchowski:
          Le 27 août était, comme toute journée en Italie du sud en cette période de l’année, très chaud et humide. Le matin déjà nous savions que nous allions partir cette nuit. On ne nous avait pas dit où mais tout l’équipage pressentait que ce serait pour Varsovie. Nos pressentiments étaient bons. Le briefing. Des informations générales et des details, des remarques et des conseils si souvent répétés... Juste avant le décollage, l’équipage composé de: capitaine pilote Jan Mioduchowski, "Jasiowa", chorązy pilot Henryk Jastrzebski, lieutenant navigateur Stanislaw Kleybor, radiotélégraphiste lieutenant Zygmunt Nowicki, chorązy mécanicien de bord Emil Szczerba, le capitaine mitrailleur arrière Jozef Bednarski et chorązy mitrailleur Tadeusz Ruman, s’est réuni sous l’aile du Liberator "S - for Sugar", et le navigateur a exprimé en une seule phrase ce que tout le monde pensait au fond:
          - Nous devons à tout prix arriver à larguer sur Varsovie!
          Personne n’a répondu à cela car nous nous comprenions parfaitement sans paroles.
          Nous avons décollé à 19h15, lorsque le soilei était encore bien haut au-dessus de l’horizon. Un tour au-dessus de l’aéroport, le cap fixé au nord, au-dessus de l’Adriatique et la montée à 3300 mètres. Tout s’est passé comme d’habitude : les montagnes de la Yougoslavie, le Danube, les lumières et les projecteurs. Nous arrivons dans les Carpathes. Point d’orientation et ensuite descente vers le sol – au-dessus de la Pologne le mieux c’est de voler en rase-motte. Les moteurs puissants de notre Liberator marchent impeccablement, chaque membre de l’équipage s’attèle à ses tâches de maniere tranquille et systématique.
          Il ne reste plus qu’environ 40 kilomètres avant Varsovie mais depuis un moment nous voyons à l’horizon une lueur sanguine qui, au fur et a mesure qu’on approchait de la ville, devenait de plus en plus grande et claire. Nous voilà au-dessus des faubourgs de Varsovie. Nous sommes à environ 300 mètres d’altitude, en-dessous de nous il y a du feu et de la fumée. Nous arrivons à distinguer quelques ruines d’immeubles de plusieurs étages avec les restes brûlants de planchers aux rez-de-chaussées car aux étages tout avait déjà brûlé. En une fraction de seconde, on arrive à ressentir tout le drame de ces gens qui sont là, en bas: ceux qui combattent, et ceux qui ont été emprisonnés dans cet enfer sans issue. Le coeur se serre et les nerfs se tendent à la limite du supportable. Par moment on oublie même notre propre sécurité. Nos yeux, aveuglés par de grosses taches de feu, distinguent avec peine la croix de lumières au sol, dans la zone de largage. Mais nous la repérons et commençons l’approche. La trappe du compartiment est ouverte. On largue! Les Allemands sont bizarrement calmes, ils ne tirent pas ni n’essaient de nous attraper avec leurs projecteurs. Mais ce n’est que le silence avant l’orage. Soudain plus d’une dizaine de projecteurs nous rattrapent et immédiatement la DCA légère nous mitraille à partir de leurs canons mitrailleurs et mitrailleuses. Les obus oranges, rouges, verts et blancs dansent autour de l’avion, on se croirait à la St Jean. De temps en temps on est touchés. C’est comme si notre machine était cognée par de puissantes haches en acier, alors que duralumin et l’acier s’inclinent sous les coups.... "Plus bas! Plus bas!" – crie le navigateur même si nous sommes déjà à une très basse altitude. Mais c’est notre seule chance de nous en sortir.
          Nous descendons encore en évitant de justesse une collision avec la tour d’une église et nous prenons nos jambes à notre cou en direction de l’ouest. Nous sommes conscients d’avoir été touchés mais il est difficile d’évaluer l’ampleur des dégâts en une fraction de seconde. L’un des moteurs – intérieur droit – ne marche plus. Les pales de l’hélice, immobiles, semblent implorer le ciel. Le moteur intérieur gauche a perdu de sa puissance et après quelques minutes s’arrête également. Les pilotes se concertent entre eux puis nous entendons par l’intercom que la situation n’est pas bonne. On n’a plus que deux moteurs et on doit se préparer à toute éventualité. Le pilote nous ordonne de mettre nos parachutes au cas ou on serait obligés de sauter au-dessus de la forêt de Kampinos. Cependant notre machine blessée continue son vol et, étonamment, regagne même de l’altitude. Nous sommes déjà à environ 700 mètres. Nous entendons la voix de notre mécanicien de bord qui nous informe que "dispatcheur" est blessé. En tant que membre de l’équipage le moins chargé (opérateur radio et mitrailleur de bord), je quitte la tourrelle centrale et je passe à l’arrière pour secourir le blessé.
          La blessure s’avère superficielle – un éclat d’obus dans l’avant-bras – je lui fais rapidement un pensement et je retourne à mon poste. Je vérifie la radio et je constate avec soulagement qu’aussi bien l’émetteur que le récepteur fonctionnent. Je code une dépeche, puis une autre et je les envoie à la base. Je ne reçois aucune confirmation de réception. Ce n’est qu’après que j’apprends que l’antenne a été arrachée et par consequent le rayon de l’émetteur était très réduit.
          Cependant notre brave Liberator a réussi a monter à 1.300 mètres et nous prenons cap sur le Col de Moravie. Pour le moment deux moteurs fonctionnent alors nous décidons que si on arrive à atteindre 2.000 mètres, on ne sautera pas. Le navigateur calcule tous les caps de retour pour un trajet à cette altitude. Non loin des Carpathes on a essuyé trois tirs d’un canon antiaérien isolé . L’un des obus a traversé le fuselage juste au-dessus de ma tête. Heureusement que j’étais au poste radio car si j’avais été debout à ce moment la, j’aurais été touche à coup sûr.
          Lorsque les pilotes ont annoncé que la machine a atteint 2.100 mètres et que peut être il serait possible de la maintenir à cette altitude, on a commencé à croire à un retour possible à la base. On priait tous dans nos coeurs pour un heureux retour. . .
          Après deux heures d’incertitude nous avons finalement rejoint la base. En verifiant l’installation radio je constate que la radio des pilotes ne fonctionne pas. J’ai donc changé les paramètres de mes appareils et j’ai montré au pilote comment communiquer avec la tour de contrôle.
          Enfin on atterrit. En plein suspens, on attend l’acte final de ce drame. On a ouvert le haut du cockpit, pour éviter qu’il se bloque en cas d’accident et ne nous empêche de quitter rapidement l’appareil. Le train d’atterrissage a touché la piste. Nous sentons l’appareil rouler. Par contre nous voyons de suite qu’il ne perd pas de vitesse. Nous avons déjà passé plus de la moitié de la longueur de la piste d’atterrissage et on voit se rapprocher dangereusement la mer bleue avec les écumes blanches couronnant les vagues. Soudain, l’avion tourne violamment en sautillant sur les champs de vignoble et les murailles de pierre. Puis - il fait un bond gigantesque, on entend du bruit, il y a de la fumée, puis une rotation et enfin un silence assourdissant. En quelques secondes nous nous aidons les uns les autres à quitter la machine car l’un des moteurs encore en marche crache des flammes.
          Il est 05h20. Le soleil est levé depuis longtemps. L’air limpide du matin, la verdure, le bruit des vagues et le silence agissent comme un pensement sur nos nerfs.
          L’avion est cassé, tordu et déchiré par les obus. Dans les ailes – des trous d’un demi mètre de diamêtre. Bref, un tas de feraille. Cependant nous ressentions envers lui une profonde gratitude pour avoir gagné la course comme un étalon, meme si cette course lui a couté la vie. C’était la fin glorieuse du Liberator "S - for Sugar" avec son échiquier blanc-rouge, du libérateur qui avait combattu pour la liberté.
          Avant même notre atterrissage, une confirmation de largage était arrivée de Varsovie à la base, et moins de 24 heures après, le Prèsident de la République a envoyé par la voix télégraphique les medailles Virtuti Militari pour tout l’équipage.


          Le Halifax JD-362 fut abattu au-dessus de la Hongrie, tout l’équipage périt; le Halifax JN-895 également abattu en Hongrie, tout son équipage périt; le Halifax JD-171 fut abattu dans la région de Mohacz sur le Danube, près de la frontiere hongro-yougoslave, un seul membre d’équipage survécut. Blessé, il fut capturé. Le Halifax JP-295 fut porté disparu avec tout son équipage, probablement il coula dans l’Adriatique. Face aux pertes lourdes, le commandement britannique suspendit les sorties de l’escadre 1586 pour Varsovie et Kampinos.

          En août, les avions des Alliés larguèrent sur Varsovie environ 52 tonnes d’armes et de munitions. Dont malheureusement seulement environ 35 tonnes furent récupérees par les insurgés. On réalisa également de nombreux largages sur la Forêt de Kampinos et la forêt de Chojnow. Malheureusement seulement une partie minime des armes put être transférée à Varsovie.
          Lors de ses missions, l’escadre polonaise perdit 10 avions et 8 équipages. Les divisions de la RAF perdirent 1 avions et 10 équipages et la division de la SAAF - 8 avions et 8 équipages.

          Les mémoires du sergent-major (F/S – Flight Seargent) Tadeusz Ruman, mitrailleur de bord du Halifax JP-251 "P" commandé par chorązego (W/O – Warrant Officer) Henryk Jastrzebski:
          Mon premier vol au-dessus de Varsovie pendant l’insurrection est tombé le 4 août 1944. Je volais alors sur un Halifax. Nous sortions de nuit. Nous décollions aux alentours de 19h de Brindisi, en Italie et en traversant la Yougoslavie et la Hongrie nous arrivions sur Varsovie vers minuit. Nous rentrions de la mission au petit matin. Le premier vol était très calme, les Allemands n’avaient pas l’air de s‘y attendre.
          Ensuite à chaque mission c’était pire. Lorsque nous étions arrivés sur Varsovie la première fois c’était un sentiment incroyable – nous savions qu’il y avait là bas nos collègues qui récupéraient le largage.
          Au sol nous apperçumes une croix faite avec des lampes à petrole. Nous faisions notre possible pour viser cet endroit. Avant chaque mission il y avait un briefing, lors duquel on nous communiquait la zone de largage et l’endroit qui serait marqué d’une croix lumineuse. Nous rasions les toits des immeubles car les croix ne faisaient pas plus de 10 mètres. Nous nous efforcions d’arriver à l’heure convenue d’avance.
          Ils nous attendaient toujours. Londres était informé du de la éecupération du largage.
          Nous larguions aux nôtres les armes et les munitions. Je ne sais même plus de quel type elles étaient car tout se trouvait dans des contenaires. Dans d’autres pays il nous arrivait de larguer également de la nourriture et des cigarettes mais aux insurgés – que des armes. Par exemple en Yougoslavie, où il y avait deux commandants : Tito – le communiste, ce qui avait le don de nous agaçer extrêmement, et, à l’ouest – le général Mihailović, nous larguions même des sacs entiers de cigarettes. Parfois nous mettions de côté un tel sac de cigarettes et nous le larguions avec les armes en Pologne. En secret, mais cela nous arrivait. Le chargement était toujours très important.
          En dessous de l’avion, là où d’habitude se trouvaient les bombes, on plaçait les conteneurs de largage.
          Notre équipage était à 100% polonais. Les équipages anglais volaient aussi mais Churchill par la suite a interdit les missions suite à des pertes trop élevées. Il estimé que ces vols c’était du suicide.
          Le premier vol était très calme mais après, Varsovie était en flammes. Nous n’avions même pas besoin de naviguer. On arrivait su-dessus de la Vistule et de loin on apperçevait la lueur au-dessus de la ville. Les services de renseignement nous transmettaient des nouvelles de plus en plus tristes sur le déroulement de l’Insurrection, provenant de "Bor " Komorowski...
          Notre escadre destinée aux mission spéciales comptait six appareils. Ce qui était difficile c’est que les equipages ne cessaient de changer. Nous n’avions aucun chasseur pour nous couvrir donc au-dessus de Varsovie nous essuyons de graves pertes – plus de 200%. Encore aujourd’hui il arrive que les gens me demandent: "Tadek, tu étais dans cette escadre spéciale, tu connaissait un tel? Il a été abattu ". Alors que notre réalite ressemblait plutôt à cela: Un équipage arrivait, le deuxième ou troisième jour ils ne rentraient pas de mission. Nous n’avions même pas le temps de faire connaissance. Il est certain que je ne me rappelle pas de certains de mes collègues.
          Mes missions sur Varsovie avaient eu lieu le 4, 7, 9, 13, 15, 21, 24 et 27 août. Nous ne passions pas plus de 1à 2 minutes au-dessus de la ville. 11 à 12 avions polonais ont été abattus.
          On ne prenait que des équipages expérimentés pour les missions spéciales. Le 15 août j’ai perdu mon collègue Zbigniew Szostak, qui, au moment du départ pour la mission m’avait avoué qu’il avait un pressentiment que ce serait sa dernière sortie.
          Nous ne pensions pas aux pertes de l’escadre, ce qui nous serrait la gorge c’était de voir Varsovie brûler, d’y voir mourir nos frères. Après les missions, nous écoutions toujours la radio toute la journée. Ca nous agaçait de savoir que les soviétiques qui pouvaientt aider à tout moment, s’étaient arrêtés et n’ont même pas tiré un coup de feu. A mes yeux, c’était la plus grande trahison de la seconde guerre mondiale.
          Notre dernier vol a été le plus dramatique. Nous sommes arrivés en Pologne avec deux moteurs seulement. C’est lors de cette mission que nous avons perdu quatre de nos appareils. Cette dernière mission je l’ai effectuée sur un Liberator. Les Allemands nous mittraillaient dur à Mokotow. Il faisait nuit et on n’avait même pas une chance de sauter en parachute car on volait trop bas. On a décidé d’aller vers le sud, de prendre de l altitude et de sauter.
          On ne pouvait pas atterrir mais ces deux moteurs ont fini par se stabiliser. Encore près de Cracovie, une petite unité allemande en retraite nous a attaqué. L’appareil a essuyé toute une série d’une mitraillette mais nous avons réussi à traverser les montagnes et nous voulions sauter en Yougoslavie. En nous rapprochant de la base, nous avons décidé de tenter un retour sur Brindisi. Les indicateurs nous montraient que les freins fonctionnaient. Mais en vérité tout avait été troué par les tirs et il n’y avait pas de freins du tout.
          Lorsque nous avons atterri, les mécaniciens ont constaté qu’il nous restait du carburant pour 5 minutes de vol.
          On a verifié nos parachutes. Il s’est avéré qu’eux aussi avaient été troués par les tirs.
          Si nous avions sauté avec, on aurait péri car un trou minuscule suffit pour déchirer le toile du parachute. C’était un miracle que nous ayons pu rentrer. Lorsque je suis sorti de l’avion, j’ai embrassé le sol et j’ai remercié Dieu de m’avoir epargné. J’ai toujours sur moi une petite médaille de la Vierge, en métal. J’ai réalisé 71 missions d’opération d’Angleterre et d’Italie et cette medaille m’a toujours accompagné. Je ne m’en serais séparé pour un million de livres.
          Le 27 août 2003, 59 ans très exactement après notre dernière mission pour Varsovie lors de laquelle nous avons été le plus amochés, un monument à la gloire des Aviateurs Polonais Tués au Combat a été inauguré dans le quartier de Mokotow...


          La suspension des vols de ravitaillement pour Varsovie causa des protestations de la part du gouvernement de la République Polonaise en exil auprès du gouvernement britannqique. Après la reprise des vols dans la nuit du 1er au 2 septembre, 2 Liberators polonais décollèrent de la base de Brindisi pour larguer au-dessus de Kampinos. En même temps, 5 Halifax polonais devait larguer dans la région de Kielce et de Radom. Un seul d’entre eux revint à la base car pour cause d’avarie de moteur il a fait demi-tour au-dessus de l’Adriatique. Les quatre autres appareils furent détruits sur le chemin du retour au-dessus de la Hongrie ou de la Yougoslavie. Les équipages en grande partie périrent. Ceci causa une nouvelle suspension des missions.
          Une action musclée des autorités polonaises poussa les Britanniques à envoyer à Varsovie une expédition plus importante de leurs forces aéroportées à partir des bases italiennes.

          Dans la nuit du 10 au 11 septembre 1944, 20 bombardiers décollèrent pour Varsovie: 5 appareils polonais, 12 britanniques et 3 sud-americains. Ils devaient effectuer des largages au-dessus du centre ville, dans le quartier de Mokotow et éventuellement sur celui de Zoliborz. 12 avions réalisèrent leur mission: 3 dans le centre ville, 2 à Mokotow et 2 dans la Forêt de Kampinos.
          5 avions, dont 2 polonais, furent abattus. Le Liberator EW-278 de l’escadre 1586 de la PAF explosa en vol à l’aller, eu-dessus de la Yougoslavie, non loin de la frontière hongroise. 4 membres de l’équipage purent sauter en parachute et furent capturés, les autres périrent. Le Halifax JP-288 de la 1586e escadre de la PAF fut abattu près de Budapest, tout l’équipage périt. Le Halifax JP-161 de la 1586e escadre de la PAF tomba sur le territoire yougoslave suite à une panne de carburant, l’équipage sauta en parachute, 4 membres furent capturés, 3 retournèrent à la base avec l’aide des maquisards yougoslaves. Le Halifax BB-422 de la 148e division de la RAF fut abattu au-dessus de la Hongrie à l’aller et l’équipage fut capturé. Le Liberator EW-198 de la 34e division de la SAAF tomba au retour de la mission au-dessus de la Yougoslavie suite à une panne de carburant, seulement 2 membres de l’équipage purent sauter en parachute, les autres périrent. Plusieurs appareils qui se retrouvèrent derrière la ligne de front fuent mitraillés par l’artillerie soviétique. Ce furent les derniers vols pour Varsovie effectués par les équipages de la RAF et de la SAAF.

          Dans la nuit du 13 au 14 septembre 2 Liberators polonais décollèrent pour Varsovie. L’un d’eux effectua un largage sur la ville, l’autre, le KH-101 fut abattu à l’aller au-dessus de la Hongrie. Ce furent les derniers vols de l’escadre 1586, qui perdit 12 équipqges.



Carte de Varsovie distribuée aux équipages effectuant des largages


          En dehors des pertes essuyées directement au-dessus de Varsovie, la plupart des avions furent abattus au retour de la mission, au-dessus de la Pologne, dans la région de Tarnow ou près de la frontière entre la Hongrie et la Yougoslavie. La cause en fut une action coordonnée de chasseurs nocturnes qui avaient élaboré une technique spéciale pour attaquer les avions alliés au retour de leur mission, alors qu’ils étaient le plus souvent abîmés par les tirs d’artillerie et pilotés par un équipage épuisé par un vol difficile de plusieurs heures.


Chasseur nocturne allemand Ju88 (d’après Luchtoorlog)




Chasseur nocturne allemand Me-110 (d’après World war 2 planes)



          Les mémoires du sous-lieutenant (P/O – Pilot Officer) Wlodzimierz Bernhardt, pilote de la division 300, soldat de l’Armée de l’Intérieur:
          Les vols pour Varsovie étaient les plus difficiles de tous ceux que j’ai effectué, tant pour des raisons techniques qu’émotionnelles. Lorsqu’on voyait d’en haut la ville agonisante et on imaginait ce que vivaient les gens la bas...
          Avant j’avais volé dans une division de bombardiers, j’ai bombardé l’Allemagne et l’Europe occupée. Avant l’Insurrection j’ai été transféré à la division 301 en Italie. En pourcentage nous avions les pertes les plus lourdes de tous les types d’armes au cours de la seconde guerre mondiale. C’etaient des expériences d’un tout autre type, ce désespoir et cette douleur de savoir que là, en bas tous perissent en on n’y peut rien.
          Les conditions de vol étaient difficiles, nous étions privés de toutes ces installations radar dont nous disposions en Europe, tout s’arrêtait au-dessus de l’Adriatique. Après, on était condamnés à naviguer «à l’africaine » - au doigt et au vent. C’est vrai, il y avait encore l’astronavigation mais on n’avait aucune aide technique au sol. En plus, la technique des vols était toute différente. Pour bombarder, on pratiquait ce qu’on appelait "la haute guerre" – on volait à un plafond haut. Ici c’était different. Ici, notre seule chance et notre seule option de défense était de voler aussi bas que possible.
          Lorsqu’on passait la côte yougoslave, une demi heure après, au-dessus de l’Adriatique il y avait déjà les Allemands. Ensuite on survolait la plaine hongroise jusqu’au lac de Balaton, là bas aussi on n’était pas franchement chaleureusement accueilli car deux aéroports de chasseurs nocturnes s’y trouvaient.
          On volait tout le temps à basse altitude. Ce n’est qu’en approchant de la frontière polonaise, dans les Carpathes qu’on remontait pour passer au-dessus des Tatras. Nous entrions sur le territoire polonais à l’est de Nowy Targ, c’était le plus facile.
          Plus ou moins à partir de Pilica, on aperçevait déjà de la fumée et une lueur. Dans la cabine nous trouvions souvent des bouts de papiers brûlants, c’était dur. Après, on allait droit sur Varsovie. Bien sûr on ne pouvait pas passer sur la rive droite de la Vistule car c’est là bas que nous attendaient les „amis” qui nous avertissaient qu’en cas de passage ils allaient tirer sur nous car ils n’étaient pas en mesure de distinguer si c’était nous où les bombardiers allemands.
          Lorsqu’on approchait de Varsovie, tout était voilé par la fumée, à certains endroits des colonnes de feu montaient au ciel et il fallait y repérer la zone de largage. C’est là que le plus drôle commençait. On descendait vraiment très bas, là où c’était possible on rasait pratiquement les toits en se dirigeant vers la place des Krasinski où devait se trouver la zone. Lorsqu’on apperçevait les lumières, il fallait immédiatement retenir l’endroit car la fumée voilait tout à nouveau, puis approcher et effectuer le largage. Cela marchait dans la plupart des cas.
          Les vols étaient epuisants, on revenait et tout recommençait. On volait à basse altitude, puis il fallait remonter pour traverser les Tatras. Et c’est là bas que les Allemands nous attendaient. Ils nous laissaient aller à Varsovie, bien sûr s’ils tombaient sur nous ils nous mitraillaient mais au retour il nous chassaient.
          Ils mettaient en place des „cheminées”. C’était une rangée de chasseurs à plusieurs endroits, qui passaient à différentes altitudes et nous chassaient alors que nous n’avions d’autre choix que passer par là bas. C’est là bas que nous subissions de plus grandes pertes. Au-dessus de Varsovie même il y avait bien sur la DCA mais moins importante que dans la Ruhr ou à Berlin. Elle était quand même efficace.
          Lorsqu’on revenait, entre Varsovie et Bochnia où il fallait prendre de l’altitude, se trouvaient deux „clignotants” c’est à dire des radiostations allemandes qui émettaient une seule lettre. C’était un support de navigation pour les avions allemands. Pour nous aussi c’était un repère. Certains équipages faisaient l’erreur de s’approcher des Tatras à une trop basse altitude et là ils se faisaient massacrer. Au second « clignotant » il fallait monter.
          Le retour était morose. Ce qui nous travaillait le plus c’était la vue de Varsovie en flammes. C’était pire qu’être rattrapé par les projecteurs au-dessus de Berlin. Là bas on ne craignait qu’ettre attrapés et abattus, mais c’était normal en quelque sorte – nous étions des soldats. Mais à Varsovie nous étions conscients qu’on ne pouvait rien faire. Au retour, le premier mécanicien nous demande comment c’était au-dessus de Varsovie. Mais nous n’étions pas en mesure de dire la vérité car lui aussi avait de la famille là bas. Sans les mécaniciens nous ne volerions pas du tout. Il me manque des mots pour décrire notre service au sol. Ils n’avaient pas de répit. Personne ne leur disait de travailler à ce point. Nous ne voulions pas leur raconter tout en détail pour ne pas les abattre.
          Les pertes étaient très importantes. Au cours de l’Insurrection, entre le 6 août et le 18 septembre où les vols ont été suspendus, ma division a perdu 17 équipages de sept personnes chacun. Les aviateurs ne sont pasformés de la même façon que l’infanterie. Pour former un membre de l’équipage pour des vols d’opération il fallait au moins un an ou un an et demi. Les effectifs moyens de la division étaient de 19 machines.
          Certaines nuits étaient les moins agréables. Je ne me souviens plus de la date, c’était dans la seconde moitié d’août ou peut-être déjà début septembre. La division à délégué 7 appareils. Nous sommes partis à sept pour Varsovie. C’était, je crois, mon vol le plus long. Au retour de Varsovie, un Junkers nous a pourchassé. Je devais me débarasser de ce salaud et au lieu d’aller vers le sud, je suis allé à l’ouest. Ce n’est que quelque part au-dessus de Kielce que j’ai réussi le semer et que j’ai pu reprendre la direction au sud.
          Nous approchions de la base avec les dernières gouttes de carburant. On passait par l’Albanie en survolant Tirana. C’était une matinée magnifique. Je me souviens, on voyait sur la place du marché des charrettes des paysans tirées par des boeufs. Ils nous faisaient des signes de la main. Le mécanicien de bord ne quittait pas des yeux l’indicateur en surveillant le niveau du carburant. Nous arrivons sur l’Adriatique, j’appelle l’aéroport, je leur dit que nous revenons. J’entends de la joie dans la voix du chef des vols .Nous descendons, je vais tout droit et on atterrit. Au moment de toucher la piste, le moteur s’éteint, il n’y a plus de carburant. Mais nous avons réussi à atterrir. Le mécanicien dit: "Vous voyez, vous paniquez toujours alors que nous avons encore assez de carburant pour vous remplir les briquets à tous." Nous sortons et voyons l’aéroport étrangement vide et silencieux. Je demande au mécanicien au sol quelle en est la raison. "Eh bien c’est parce que vous êtes les premiers à atterrir, personne d’autre n’est encore revenu". Et personne d’autre n’a plus atterri. J’avais vraiment une chance inouie.
          On estimait en moyenne la durée de vie d’un équipage de bombardier à 3 vols, en pratique c’était 5 à 7 vols. Un cycle était constitué de 33 vols. Les plus grosses pertes étaient notées au début et à la fin du cycle. Personne n’était forcé à participer aux missions. Si un pilote ne supportait plus psychiquement de voler, on ne l’y obligeait pas. Je me souviens d’un collègue, un bon pilote, qui après sa 28e mission de suite a annoncé qu’il ne remontrait plus dans un avion. L’aide psychologique n’y a rien changé. Il a été transféré à un poste administratif. Et personne ne l’a considéré comme lâche. Il n’était tout simplement plus en état de continuer.
          Au dessus de Varsovie, les pilotes qui volait souvent à à peine 100 mètres d’altitude, au moment de larguer ouvraient les volets et sortaient le train d’atterrissage pour ralentir au maximum.
          Les pilotes sud-africains étaient formidables, tout comme les Polonais ils subissaient des pertes tout aussi grandes. Ils ont donné le maximum d’eux-mêmes. Les Anglais volaient également très bien mais les pilotes sud-africains se caractérisaient par un brin de folie.
          Plus d’une fois, les équipages polonais décollaient qu secours de Varsovie avec des appareils pas entièrement fiables.
          Du 16 au 17 août, mon avion (Halifax JP-220 "C" commande par Leszek Owsiany) a été abattu dans la région de Tarnow. En sautant en parachute j’ai atterri sur un arbre où je suis resté accrocée et j’essayais de trouver un moyen de descendre. Enfin j’ai réussi à me balancer de facon à atteindre le tronc de l’arbre. J’ai défait les sangles et je suis descendu au sol. Je me suis assis par terre et j’ai essayé d’allumer une cigarrette ce qui n’était guere facile. Mes mains ne m’obéissaient pas du tot. C’était le stress. Enfin j’ai décidé de m’éloigner de cet endroit mais tout autour de moi j’entendais des tirs et à l’horizon j’apperçevais des pétards lumineux. Cela m’a fait changer d’avis. Au bout d’un moment je suis sorti de la forêt sur un chemin de campagne. Non loin des bâtiments fermiers j’ai aperçu un homme qui avançait droit sur moi. Nous nous sommes croisés, il s’est retourné sur moi et moi sur lui. Je me suis approché de lui pour lui expliquer ma situation, je n’avais pas le choix. La forêt que je venais de quitter était pleine d’Allemands et l’aube approchait. Cette rencontre avec l’inconnu s’est avéré providentielle. Il m’a emmené dans une ferme et m’a dit d’attendre là bas. Peu de temps après, les maquisards sont venus me chercher. Voila comment, en évitant la prison, j’ai rejoint l’unité de "Météor", un parachutiste, l’un des « cichociemni ». Notre unité était assignée au 16e régiment d’infanterie de l’Armée de l’Intérieur de Tarnow. J’ai combattu avec cette unité jusqu’à la mi- octobre 1944. Légèrement blessé, j’ai été placé dans l’une des fermes qui était dans le coup. C’étaient des gens formidables et leur famille, composée de 12 personnes, constituait un havre inestimable pour les maquisards. Le fermier s’appelait Franciszek Kapusta "Du manoir" – comme l’appellaient les locaux. Peu après que mon avion soit abattu, la RAF a ordonné que les équipages des avions abattus ne combattent pas dans le maqui mais qu’ils restent en cachette en attendant leur transfert en Angleterre. Cela signifiait pour moi la fins des combats avec les maquisards.
          C’est ainsi que j’ai retrouve les miens.


          Les dépouilles des pilotes alliés abattus sur le territoire polonais furent regroupées dans un quartier du cimetière Rakowicki à Cracovie. Dans ces tombes gisent côte à côte des pilotes australiens, britanniques, canadiens, sud-africains et polonais.

             

     

                           

                           

     

     




Vue du quartier des aviateurs au cimetière Rakowicki de Cracovie (photo:Alexandra Dzieniecka, Aleksander Gucwa)


          Aux endroits où les avions furent abattus on érigea des monuments ou des plaques commémoratives.

          A partir du 13 septembre 1944, après leur entrée dans le quartier de Praga, ce sont les avions soviétiques de la Division des Bombardiers Nocturnes et du 2nd régiment polonais de chasseurs nocturnes « Krakow » qui commencèrent des largages. Les largages furent effectués à l’aide de petits biplans légers U-2, appelés communement des "kukuryzniks". En coupant les moteurs, ils arrivaient en rqse-motte au-dessus de la zone de largage et ils larguaient à basse altitude des sacs, souvent sans parachute. Cette manière de procéder causait de sérieux dommages aux armes et munitions et les rendait parfois inutilisables. Même les boîtes de conserves étaient endommagées. On peut tenter la conclusion que de tels procédés furent de la pure simulation d’aide.

          Lors de la conférence des ministres des affaires étrangères des Alliés à Moscou, en octobre 1943, les Américains soulevèrent la question des vols-navettes. Selon cette conception, les avions américains décollant des bases anglaises, après le bombardement des objectifs stratégiques devaient atterrir sur des bases soviétiques choisies, puis, après le ravitaillement en carburant, en bombes et en munitions devaient de nouveau bombarder les objectifs choisis au retour. Malgré l’avantage évident d’une telle stratégie, ce n’est qu’au milieu de l’annee 1944 que les Russes qcceptèrent cette solution.
          On créa sur le territoire soviétique deux bases pour les bombardiers américains : à Poltawa et à Mirgorod, et une pour les chasseurs à Piriatyn. Dans le cadre de « Frantic », 23 opérations au total furent effectuées. On décolla 9 fois de bases italiennes, 4 fois d’Angleterre et 10 fois de bases russes.
          L’expédition "Frantic 1" pqrtit le 2 juin 1944 d’Italie et, après avoir bombardé une station de distribution et une fabrique de locomotives à Debreczyn, elle atterrit en Russie. Ensuite on procéda au bombardement des aéroports à Galacz en Roumanie. Le 11 juin on termina l’opération "Frantic 1" par le bombardement des aéroports à Fokszany en Roumanie suite à quoi l’armada revint dans les bases italiennes en Apulie.
          Le 21 juin 1944, les avions américains décollant des bases anglaises commencèrent "Frantic 2" en bombardant les zones industrielles près de Dresden et la ville de Biala Podlaska. Cette expédition de grande envergure passa en juin 1944 à une haute altitude au-dessus de Varsovie. On ne voyait que des silhouettes des appareils miroitant au soleil, volant à plus de 6 000 mètres. Après l’opération, les avions atterrirent dans trois bases : à Poltawa, Mirgorod et Piriatyn. Les effets de cette expédition furent tragiques.
          L’expédition fut observée par un groupe d’avions de reconnaissance allemands qui purent définir le point d’atterrissage des avions américains. Dans la nuit du 21 au 22 juin, lors d’un raid qui dura 2 heurs, les avions allemands attaquèrent l’aéroport de Poltawa et du 22 au 23 juin à Mirgorod. Suite au raid, 53 bombardiers B-17 et 3 chasseurs furent détruits. La DCA russe était faible, les Russes ne firent pas partir leurs chasseurs et ne donnèrent pas l’autorisation de décoller aux „Mustangs” américains.
          Après des efforts de plusieurs mois, le 12 septembre 1944, les autorites soviétiques autorisèrent l’opération américaine "Frantic 7" dirigée sur Varsovie. L’opération fut prévue pour le 14 septembre mais le brouillard empécha le décollages des appareils. Le 15 septembre l’aramda décollq mais après une heure de vol dut faire demi-tour suite au mauvais temps persistant.

          Enfin, le 18 septembre à 6h20, 110 bombardiers B-17 ("forteresses volantes") de la 3e Division de la 8e Armée aéroportee americaine décollèrent des bases dans l’est de l’Angleterre. L’expédition fut dirigée par le lieutenant pilote Karl Trusdell.



bombardier B-17 « Forteresse volante »


          Données techniques: 4 moteurs à 9 cylindres en étoile Wright 1820-97, puissance: 1.200 chevaux chacun; dimensions: envergure 31,60 m, longueur: 22,50 m, hauteur 5,80 m, voilure 131,9 m2; masse à vide: 16.374 kg; mase au décollage: 29.710 kg; performances: vitesse maximale: 486 km/h, vitesse de croisière: 380 km/h, vitesse pour atteindre le plafond: 4,6 m/s, plafond: 10.850 m, rayon d’action normal: 3.219 km; rayon maximum: 5.470 km; armement: 13 mitraillettes M-2 Browning 12,7 mm (movibles, dont 4 doublement couplées, dans la partie avant, haut, arrière et basse du fuselage), 7.985 kg de bombes dans le compartiment a bombes dans la partie centrale du fuselage; équipage: 10 -11 hommes.

          20 minutes auparavant décolla un avion "Mosquito" qui menait l’expedition en faisant une reconnaissance météo et qui atterrit par la suite à Poltawa.



bombardier de reconnaissance britannique „Mosquito”


          Données techniques: 2 moteurs Rolls-Royce Merlin ou 76, de 1.680 chevaux chacun; dimensions : envergure : 16,51 m, longueur : 12,44 m, hauteur 4,65 m, voilure : 42,18 m2; masse à vide : 6.490 kg; masse au décollage : 9.070 kg; performances : vitesse maximale : 595 km/h, vitesse pour atteindre le plafond : 670 m/min, plafond : 10.500 m , rayon d’action : 3.065 km; rayon maximum : 5.470 km; armement: 4 mitraillettes Browning 7,7 mm ou 4 canons Hispano-Suiza kal 20 mm ou 450 kg de bombes, équipage: 2 personnes.

          L’expédition fut protégée par 154 chasseurs P-51 "Mustang".



Chasseur américain P-51 Mustang


          Données techniques: moteur: Allison V1710-81 de 12 cylindres, 1.200 chevaux chacun, dimensions : envergure : 11,27 m, longueur : 9,82 m, hauteur : 3,70 m ; masse a vide : 2.918 kg; masse au décollage : 4.082 kg; performances: vitesse maximale : 628 km/h, plafond : 955 m, rayon d’action : 563 km; rayon maximum : 4.104 km; armement: 4 mitraillettes 12,7 mm suspendues, 453 kg de bombes, équipage: 1 pilote.

          A Varsovie on se sentait abandonné de tous. Il faut cependant garder en mémoire qu’en même temps de lourds combats avaient lieu en Normandie, le tour n’était pas encore joué. Ce n’est que le 8 août qu’on reboucha le bouchon près de Falaise et on put affirmer que les divisions allemandes en France étaient détruites et que l’avantage était du côté des Alliés.
          Au même moment où décollait l’expédition américaine qui comptait au total 266 appareils: 110 super forteresses B-17 et 156 chasseurs « Mustang », se déroulaient les préparatifs de l’opération qui devait commencer le 17 septembre près d’Arnhem et qui demandait une quantité colossale de matériel et d’équipages.
          Il faut souligner la complexité logistique de la grande expédition américaine du 18 septembre de l’est de l’Angleterre pour Varsovie.
          Chaque appareil emmena 11 tonnes de carburant, 3 tonnes de conteneurs, les munitions pour les mitraillettes pesaient à elles seules plus d’une tonne, l’équipage comptait entre 10 et 11 personnes. On dut mobiliser une masse de personnes pour le service technique des ces 110 bombardiers et 156 chasseurs. Presque 5.000 personnes pour les bombardiers, chaque appareil étant desservi par une equipe de personnes; 500 personnes furent nécessaires au décollage des chasseurs. Au total, 5.500 personnes au sol et 1400 aviateurs dans les airs furent nécessaires pour que l’expédition puisse avoir lieu.



Préparation d’un B-17 pour le raid


          En 1939, les forces cumulées de toutes les escadres polonaises ne disposaient pas d’une quantité suffisante d’appareils qui auraient pu partir pour Varsovie. Au 1er septembre, l’aviation polonaise disposait de 86 bombardiers et de 160 chasseurs.

          L’itinéraire de l’armada menait de Southwold au-dessus de la Mer du Nord, à Schlezwig, près de la ville dannoise de Maribo sur l’ile de Lolland, ensuite le long de la Baltique. On franchissait la côte un peu au nord de la ville de Koszalin, de là, par Chelmno, on allait sur Varsovie. Le trajet était de 1.360 km et les B-17 le faisait en 5 heures.



L’itinéraire de Frantic-7


          A la hauteur du Danemark et dans la région de Kolobrzeg, 90 chasseurs américains firent demi-tour et repqrtirent en Angleterre en participant au passage à un combat aérien et en détruisant de nombreux avions allemands à l’aéroport de Jagel. 64 "Mustangs" du 354e Groupe de chasseurs couvraient les B-17 lors du vol pour Varsovie et après, pour les aéroports en Russie. 3 bombardiers B-17 durent faire demi-tour pour des raisons techniques.
          107 appareils continuèrent leur vol des côtes de la Baltique dans la région de Kolobrzeg, par Torun et Plock jusqu’à Varsovie. 40 km au nord-ouest de Varsovie, la formation fut attaquée par environ 40 chasseurs allemands. Les "Mustangs" abattirent 4 Messerschmitt Bf 109 et en endommangèrent 3 autres, leurs propres pertes furent de 2 appareils.



Chasseur allemand Me-109


          Sur l’ensemble du trajet, l’expédition ne rencontra pas de DCA allemande. Seulement dans la région de Lomianki-Dąbrowa commencèrent des tirs peu effectifs de l’artillerie antiaérienne qui allèrent croissant jusqu’à l’arrivée au-dessus de la ville. On compta environ 45 canons lourds de 88 mm.
          Aux alentours de Varsovie un obus d’artillerie antiaérienne atteignit un bombardier B-17 qui explosa à 12h46 dans la région de Pelcowizna. 7 membres d’équipage périrent, 3 sautèrent en parachute et furent capturés. L’un d’entre eux qui atterrit avec une jambe cassée près du village de Dąbrowa-Dziekanow, fut fusillé par les Allemands après un bref interrogatoire.
          L’artillerie antiaérienne endommagea de nombreux B-17. Le pilote d’une des machines fut tué, deux membres d’équipage furent blessés. Le second pilote réussit à ramener l’avion endommagé à la base de Mirgorod. C’est là bas qu’on fit les funérailles du pilote tué.



La forteresse volante au-dessus de Varsovie, derrière on aperçoit les explosions des obus de l’artillerie antiaérienne


          Les avions américains devaient larguer les conteneurs dans trois zones: dans le quartier de Mokotow, Zoliborz et dans le centre ville. Les zones furent marquées de draps blancs de 100 mètres dans les rues et sur les toits des maisons.
          Vers 12h30 on commença les largages à 5.200 - 4.200 mètres. Ils durèrent 10 minutes. Les observateurs au sol croyaient d’abord que ce fut une descente de parachutistes. Le ciel se colora de plein de parachutes de toutes les couleurs. Cela suscita de l’entousiasme parmi les insurgés et fit augmenter les tirs des Allemands.




Quartier de Mokotow

Quartier de Zoliborz

Largage de conteneurs dans les quartiers de Varsovie, on reconnait au sol la disposition caractéristique des rues


          Les conteneurs furent éparpillés sur une grande superficie. On largua 1.284 conteneurs dont malheureusement seulement 228 furent récupéres par les insurgés. Beaucoups de conteneurs atterrirent au « nomansland », les insurgés en récupérèrent une partie durant les combats, les autres restèrent non récupérés. 28 conteneurs furent détruits suite aux impacts d’obus incendiaires. Plus de 70% du contenu du largage se retrouva aux mains des Allemands. Plus d’une dizaine de conteneurs tombèrent sur la rive dans le quartier de Praga contrôlé par l’Armée polonaise et soviétique.



Pliage d’un parachute de largage


          Le largage contenait 2.9876 pistolets mitailleurs Sten, 390 de fusils Bren, 102 lanceurs anti-chars Piat avec 2.200 grenades, 2.490 grenades anti-char Gammon, 7.865 kg de plastic, 3,2 tonnes de mèches, 2,2 millions de pieces de munition, 4.390 de grenades diverses, 12 conteneurs contenaient des medicaments, des pensements et du matériel sanitaire pour les hôpitaix des insurgés.
          Malgré l’impact réduit de l’expédition de ravitaillement américaine, elle s’avéra être un grand succès en comparaison aux pertes subies lors de missions nocturnes lors desquels pour 10 tonnes de ravitaillement largué il fallait compter un bombardier détruit. Dans l’expédition "Frantic 7" les pertes furent envisagées à la hauteur de 40% et en fait seulement un B-17 et 3 chasseurs "Mustang" furent détruits.



B-17 après le largage sur Wilanow


          11 heures après le décollage, l’expédition "Frantic-7" atterrit dans les bases en Russie. Les bombardiers B-17 atterrirent à Poltawa et Mirgorod, les chasseurs "Mustang" à Piriatin. Le 19 septembre, après avoir fait le plein de carburant, de munitions et de bombes, les avions repartirent pour leurs bases en Angleterre, en bombardant au passage le noeud ferroviaire et les installation industrielles dans la ville de Szolnok en Hongrie.

          L’opération "Frantic-8" pour Varsovie fut prévue pour la fin du mois de septembre. Elle n’eut jamais lieu, d’une part parce que les Russes ne donnèrent pas leur accord, d’autre part car l’Insurrection s’éteignit.

          Il faut souligner l’atitude chevaleresque et fraternelle des équipages britanniques de la RAF et des sud-africains de la SAAF. Malgré d’importantes pertes, les pilotes alliés ne refusèrent jamais de prendre part aux missions kamikaze avec l’aide pour Varsovie. L’escadre polonaise 1586 se vit attribuer le nom honorifique des « défenseurs de Varsovie ».
          Les largages durant l’Insurrection de Varsovie n’eurent pas d’impact significatif sur son issue. Ils furent trop insignifiants, surtout dans la première phase de l ‘Insurrection lorsque le ravitaillement en armes et munitions fut le plus indispensable. Les largages sur Kampinos ne furent qu’un simulacre d’aide à Varsovie car Kampinos était pratiquement coupé de la capitale. Depuis le début de l’Insurrection, le commandant de la MAAF, le marachal Slessor fut opposé à l’envoi d’avions britanniques à Varsovie car il la considérait comme le terrain d’action soviétique. Ceci rejoignait par ailleurs la politique générale des puissances occidentales qui mettaient en pratique les accords de Téhéran et de Jalta.

          En plus d’une lutte acharnée à l’aide de la DCA contre les avions arrivant au-dessus de Varsovie, les Allemands essaiaient également d’influencer l’atitude des insurgés en desavouant l’effort des pilotes. Voilà le contenu d’un tract largué par les avions allemands sur les positions des insurgés.



Un tract allemand sur les largages


          Comme on peut le déduire du contenu, en plus d’amoindrir l’effort des pilotes alliés, elle avait pour but d’encourager les insurgés à se rendre aux Allemands. Il était prévisible qu’une telle propagande n’avait pas d’impact sur l’atitude des soldats polonais et l’encouragement à se rendre provoqua tout au plus un éclat de rire ironique.

          L’atitude des aviateurs de la RAF et de la SAAF différait de manière significative du comportement des hauts commendants et des politiques. Par leur héroisme et leur tribut du sang ils donnèrent l’exemple d’une fraternité des armes et de loyauté envers leurs compagnons d’armes, aussi bien ceux dans les airs que ceux qui combattaient à Varsovie.

          Voici les données qui illustrent l’effort des aviateurs fournissant de l’aide à Varsovie entre août et septembre 1944.
          Les forces de la SOE effectuèrent durant cette période 196 vols: 91 vols par la 1586e escadre de la PAF (Pologne), 50 vols par la division 148 et 178 de la RAF et 55 vols par de la division 31 de la SAAF.
          Durant ce temps 115 largages sur Varsovie, Kampinos et la Foret de Kabaty furent réalisés: 78 largages par la PAF, 40 largages par la RAF+SAAF; 74 largages furent effectués directement sur la ville.
          Au total, les avions de la SOE larguèrent 870 conteneurs dont 427 directement sur Varsovie. Les soldats de l’Armée de l’Intérieur récupérèrent au total 514 conteneurs dont 235 dans Varsovie même.
          Lors de l’expédition américaine Frantic-7, le 18 septembre 1944, 110 bombardiers effectuèrent 107 largages. 1284 conteneurs furent largués sur trois quartiers de Varsovie, dont 228 récupérés par les insurgés.
          Durant toute la période de ravitaillement de Varsovie, les forces de la SOE perdirent 39 avions: 18 appareils de la PAF (escadre polonaise), 12 de la RAF, 8 bombardiers de la SAAF.
          Dans les avions abattus on perdit au total 36 equipages: 16 dans l’escadre polonaise 1586 de la PAF, 11 équipages britanniques de la RAF et 9 équipages sud-africains de la SAAF.
          Lors de l’expédition américaine Frantic-7 on perdit 2 bombardiers B-17 et 1 équipage.
          Au total 2.472 pilotes participèrent aux opérations: 637 Polonais, 735 Britanniques et Sud-africains et 1.100 Americains.
          256 pilotes des forces alliées furent abattus: 112 Polonais, 133 Britanniques et Sud-Africains et 11 Americains. Parmi les pilotes abattus, 41 survécurent.
          On ne peut ne pas remarquer les pertes exceptionnellement élevées parmi les aviateurs de la SOE atteignant presque 20%. Elles témoignent du degré de difficulté des missions mais aussi de la détérmination des équipages qui les réalisaient.
          En analisant de simples données quantitatives on ressent un respect particulier pour les pilotes polonais qui, avec à peine une escadre, arrivaient à réaliser les missions comparables à celles des trois, et par moment même quatre divisions britanniques et sud-africaines.

          Parmi les pilotes sud-africains qui participèrent aux missions pour Varsovie, plus de 40 perdirent la vie. A ce jour, 11 de leurs collègues qui survécurent à ces missions meurtrières sont encore en vie. Ils célèbrent avec grande pompe les jours de septembre en rendant hommage à leurs compagnons des armes tués. En 2006, plusieurs insurgés de Varsovie furent invités à Johannesbourg. C’étaient ceux là mêmes qui, plusieurs décennies auparavant, accueillaient avec joie les conteneurs avec les armes et regardaient avec peine les avions en feu de ceux qui leur apportaient de l’aide au coeur de l‘enfer de combat. Parmi les invités il y avait le général Zbigniew Scibor-Rylski et Edmund Baranowski, les deux du groupement "Radoslaw". La cérémonie fut grandiose: dépose de gerbe sur les plaques commémoratives sur la colline près de Johannesbourg, puis un défilé aérien d’appareils à helices de la Seconde Guerre Mondiale. Parmi elles, un gigantesque bombardier B-17 entouré de chasseurs de l’époque.

          En été 2006, lors du 62e anniversaire de l’Insurrection de Varsovie, une forteresse volante B-17 "Sally B" atterrit à l’aéroport d’Okecie à Varsovie. C’était l’un des deux appareils de ce type encore en marche à Varsovie. Le 31 juillet, les habitants de Varsovie purent admirer un appareil identique à ceux qui, au nombre de plus de 200, larguèrent le ravitaillement sur Varsovie le 18 septembre 1944. Le 1er août 2006 à 16h00, "Sally B" décolla de l’aéroport de Varsovie et en effectuant des tours au-dessus de la ville largua 50 000 tracts appelant les habitants à s’arrêter à 17h00 et observer une minute de silence pour rendre hommage à ceux qui, il y a 62 ans de celà, répondirent présent pour la libération de la capitale.
          Ci-dessous nous vous présentons une série de photos de la forteresse volante, réalisée par Andrzej Dulski du club des supporteurs de Legia.

     

     

     

     



réalisation: Maciej Janaszek-Seydlitz

traduction: Anna Riondet




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