Témoignages des insurgés

INSURRECTION DE VARSOVIE



Andrzej (Andrew) Borowiec, né 24.09.1928, ŁódĽ,
pseudonyme "Zych"
soldat Armée de l’Intérieur
numéro de prisonnier 47489

         Andrew (Andrzej) Borowiec – né en 1928, insurgé de Varsovie, soldat de la section 101, pseudonyme „Zych”, agent de liaison dans les égouts reliant le Centre Ville et la Vieille Ville, rejoignit le Groupement „Radosław” dans le quartier de Czerniakow, participa aux combats dans les environs de la rue Wilanowska, emprunta de nouveau un égout avec les troupes de „Radosław” pour atteindre l’enclave insurrectionnelle de Mokotów. Après l’attaque des Allemands contre le quartier de Mokotów, blessé deux fois au cours d’une même journée, il fut pris prisonnier par les Allemands.

         Prisonnier du stalag XIA Altengrabow. Après la libération, il servit dans l’armée du général Anders en Italie. Il se rendit ensuite en Grande Bretagne où il passa son examen de baccalauréat. Après l’obtention d’une bourse, il étudia à Columbia University. A l’issue des études, il travailla pendant 13 ans en tant que journaliste pour le compte de Associated Press (New York, Paris, Alger, Afrique occidentale, Genève, Vietnam), pour Washington Star pendant 9 ans en qualité de "correspondant itinérant" (Afrique, Moyen-Orient, Europe, Vietnam), pour Chicago Sun-Times (principalement dans la région méditerranéenne). A présent, il écrit des articles pour le quotidien américain Washington Times.

         Il est auteur de livres, notamment d’un livre consacré à l’Insurrection de Varsovie, publié aux USA:

         Destroy Warsaw! Hitler's Punishment, Stalin's Revenge (Praeger, 2001).
         Cyprus A Troubled Island
         Modern Tunisia A Democratic Apprenticeship
         Taming the Sahara Tunisia Shows a Way While Others Falter
         The Mediterranean Feud.
         Yugoslavia after Tito.


         Habitant de Chypre, il habite aussi, périodiquement, dans les Alpes françaises.


INSURRECTION DE VARSOVIE
Aperçu, faits, impressions


         L’Insurrection de Varsovie de 1944, dirigée contre l’occupant allemand, fut le soulèvement le plus sanglant de l’histoire de Pologne et un exemple cruel de l’anéantissement d’une ville comptant un million d’habitants en plein coeur de l’Europe. Pendant l’Insurrection au moins 150 000 personnes périrent et la capitale de Pologne fut détruite à 90 pour cent.

         La tragédie de Varsovie n’était pas un acte de suicide national, mais la conséquence d’une tragique période de cinq ans de l’occupation allemande et du plan soviétique de conquête de l’Europe de l’Est sur les restes du Troisième Reich. En stoppant son offensive devant les murs de Varsovie le 1er août 1944, jour de l’éclatement de l’Insurrection, Staline condamna Varsovie à la destruction et les restes de ses habitants à la déportation. Cette politique facilita la tâche des Allemands dans leur projet de „rasage au sol” de la capitale polonaise indocile alors que les Soviétiques purent installer plus aisément dans les ruines de la ville un gouvernement prosoviétique communiste. Encore une fois dans son histoire, Varsovie dut payer le tribut de sa position géographique infortunée entre les deux puissances dont le but était de conquérir la Pologne désobéissante.

         En raison du rôle décisif que jouait l’Union Soviétique dans la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie, l’Occident donna à Staline toute la latitude d’action sans se soucier tant de ses projets que du comportement de l’Armée Rouge sur les territoires délaissés par les Allemands. Dès son entrée sur les territoires appartenant avant la guerre à la Pologne, l’armée soviétique désarmait les partisans polonais, arrêtait les officiers et déportait des détachements entiers vers les camps situés en Russie.

         Le commandement de la résistance polonaise luttant contre les Allemands, subordonné au gouvernement en exil de Londres, considérait que la bataille de Varsovie était inévitable, compte tenu du sentiment général de la population. En effet, Varsovie voulait se libérer toute seule, ignorant le contexte géopolitique, ne se préoccupant pas vraiment de la capacité réelle des résistants à entreprendre une telle opération ni de la détermination des Allemands, décidés à maintenir le plus longtemps possible ce centre logistique vital pour le front de l’Est.

         L’enthousiasme et l’esprit guerrier des insurgés étaient quasiment sans précédent. L’insuccès, c’était la pénurie d’armes et l’absence de soutien de la part des Soviétiques, exclu dès le début par le Kremlin. Bien que la radio moscovite ait incité les Varsoviens à „s’insurger et ouvrir la voie à l’Armée Rouge”, Staline refusa tout contact avec les „fascistes polonais”, affirmant, dès le début, que l’Insurrection était déclenchée par des „cercles réactionnaires de l’émigration” de Londres. Staline disposait d’informations exactes sur l’attitude critique des alliées occidentaux à l’encontre des émigrés polonais, souvent accusés de détracter l’effort militaire des Soviétiques.

         La décision du déclenchement de l’insurrection fut prise par le général „Bor” (Tadeusz Komorowski), officier de cavalerie d’avant la guerre, connu pour sa participation aux concours hippiques internationaux, chef de l’Armée de l’intérieur (AK) qui regroupait l’écrasante majorité des résistants polonais. Le gouvernement polonais de Londres, ayant approuvé quelques jours auparavant le plan de l’insurrection, fut informé du début du combat le 2 août, au moment de la mise en service à Varsovie d’une station de radio privée jusqu’alors de certaines pièces de rechange.

         Au début de l’insurrection, le général „Bor” renonça à entrer en contact avec les forces soviétiques du maréchal Rokossowski, alors en progression. Il essaya de le faire plus tard, sans réponse aucune de la part des Russes.

         Pour les participants de l’insurrection, son éclatement fut une expérience envoûtante, comme si leur rêve nourri depuis cinq années cruelles de l’occupation était enfin devenu réalité. Nous ne pensions pas un seul instant au danger ni aux conséquences de nos actes. Déjà les premières heures révèlerent que l’Insurrection n’était pas une oeuvre des „enfants révoltés”, mais une aspiration de la majorité des varsoviens qui s’étaient précipités dans les rues pour construire des barricades et aider les insurgés. Les parachutages, la déception et le désespoir caractérisaient la période postérieure, où Varsovie était littéralement réduite en poussière, jour après jour, rue après rue, maison après maison, et ceci pendant 63 jours. C’était alors que les habitants, ayant tout perdu, nous qualifiaient de „fossoyeurs de Varsovie”.

         Mais nous sommes le premier août, quand la lumière estivale du soleil inonde les rues de Varsovie, tôt dans l’après-midi. Sur l’une des principales artères de la capitale, Aleje Jerozolimskie, devant Soldantheim (foyer du soldat), se déploient des Allemands appartenant aux différents corps des forces armées, buvant de la bière et contemplant la circulation urbaine. Ils ne prêtent pas attention aux jeunes gens se dépêchant quelque part, portant des ballots importants enveloppés dans d’épais papiers. Il s’agissait des sacs à dos qu’on essayait de dissimuler de cette façon! C’est avec le même regard indifférent que circulent des patrouilles fréquentes comptant jusqu’à dix soldats. De temps en temps, défilent des chars lourds se dirigeant vers les ponts sur la Vistule, transportant des soldats en uniformes noirs de la division blindée d’élite Hermann Goering. A ce moment, tout le monde ignore que ce sont justement ces chars-là, inattendus par le commandement de l’AK, qui contribueront aux premières pertes lourdes de l’Insurrection.

         Les résistants, dont l’âge moyen variait entre 16 et 25 ans, bien qu’il y ait, bien évidemment, des personnes en-dessous ou au-dessus de cette fourchette, organisés en sections comptant au maximum 60 personnes, furent immédiatement avant le lancement de l’opération regroupés en compagnies et en détachements plus conséquents. Par exemple, la section 101 dont je faisais partie, était composée de jeunes garçons issus des Scouts de Pologne clandestins fusionnés en une compagnie avec la section 116, créée par des jeunes plus matures et par des adultes ayant fait leur service militaire avant la guerre. Toutes les couches de population participaient aux activités clandestines. Les résistants recrutaient surtout dans leur propre milieu, mais les différences s’estompaient pendant le combat. Varsovie comptait environ 700 sections, y compris les sections spéciales de liaison téléphonique, de radio, de minage, sanitaires ou de gendarmerie.

         Le niveau d’entraînement militaire (hormis les troupes d’élite) était très rudimentaire, basé principalement sur les rencontres dans des logements privés voire dans certains immeubles désaffectés. Il prenait aussi la forme des périples organisés le dimanche dans les régions forestières des environs de Varsovie. Pendant ces rassemblements nous apprenions la signification des différents termes militaires comme patrouille, avant-garde, guet et position, sans oublier le maniment d’arme à feu. Nous chantions l’hymne de la Pologne Clandestine:

                                    Marchons, marchons, soldats, au combat
                                    Aux armes, la Pologne Clandestine
                                    Nous appelle, la puissance divine protège
                                    Le peuple nous tend la main.


         L’organisation clandestine des Scouts de Pologne diffusait également la presse et dessinait sur les murs de Varsovie des slogans patriotiques, ce qui était passible de la déportation vers les camps de concentration ou de la peine de mort. Des troupes spéciales de diversion exécutaient les sentences de mort prononcées par les tribunaux clandestins contre certains fonctionnaires du dispositif d’oppression de l’occupant ou contre les traîtres de nationalité polonaise.

         La plupart des insurgés ne tirèrent pour la première fois de leur vie que le jour du lancement de l’insurrection. La plupart des officiers avaient servi dans l’armée polonaise avant la guerre et échappèrent à la captivité après le défaite de 1939. Les structures clandestines participaient également à la formation des jeunes candidats, futurs officiers et sous-officiers, qui, dans la plupart des cas, firent preuve de leur efficacité aux combats de l’insurrection.

         Cette importante population d’hommes et femmes, comptant entre 45 000 à 48 000 combattants, recevait des ordres, qui étaient dans la plupart des cas écrits, déposés dans les „boîtes à lettres” dont était équipée presque chaque section de 6 hommes. Le nombre de courriers qui, ce premier août matin, se déplaçaient en tramway, à bicyclette ou à pied afin de diffuser les ordres de concentration, est évalué à environ 6 mille. Le téléphone était en général évité parce que les centres téléphoniques se trouvaient entre les mains de l’occupant qui y effectuait une écoute systématique.

         Quelques jours avant le moment de la concentration nous reçûmes dans nos „boîtes à lettres” des brassards aux couleurs nationales blanc-rouge, portant un tampon indiquant le numéro de section, les lettres WP signifiant l’Armée polonaise et l’emblème national de l’Etat polonais sous la forme d’un aigle blanc. Mon détachement faisait partie de ceux qui étaient mobilisés déjà le 28 juillet au centre de la ville, au moment où l’on s’attendait à l’éclatement de l’insurrection ce jour-là, pendant la nuit. Cette concentration fut ensuite annulée, mais certains détachements déjà mobilisés restèrent sur place, déployés dans les „quartiers de veille”.C’était une période des nerfs tendus et d’une excitation générale et en même temps le moment de la découverte que la quantité d’armes à notre disposition était très faible. Cependant notre enthousiasme n’en fut pas moins grand. Notre analyse de la situation se résumait à ce raisonnement: „les armes nous seront livrées par l’Angleterre et d’autres armes seront conquises sur les Allemands”.

         Les premiers tirs retentirent dans des conditions chaotiques avant l’heure „W” (17h00 - l’heure du déclenchement de l’insurrection) dans différents quartiers de la ville. De l’avis du commandement polonais, l’heure où la circulation routière est au point culminant permettrait de surprendre l’ennemi. Cependant, certains détachements insurgés furent attaqués au moment de la distribution d’armes, d’autres attaquèrent de manière spontanée les formations militaires ou policières des Allemands. Quelques camionnettes transportant les armes furent interceptées par les Allemands. Déjà le premier jour de l’insurrection, les chars SS qui étaient alors en transit dans le quartier nord de Żoliborz, se mélèrent au combat.

         Le groupement auquel appartenait ma compagnie avait comme mission de prendre l’immeuble de „Arbeitsamt” (Office de l’emploi), occupé avant la guerre par une banque (Ziemskie Towarzystwo Kredytowe). Cette administration allemande avait pour tâche de déporter les Polonais vers les travaux forcés en Allemagne. Nos avant-postes ouvrirent le feu vers 16h00 sur la place Dąbrowskiego, à la vue des camions dont descendaient en vitesse les gendarmes allemands. Au moment des premiers tirs, ma section (35 garçons) était rangée sur deux rangs au premier étage d’une grande salle RGO (Conseil Général de la protection sociale, organisation prenant soin des réfugiés originaires des différentes régions de la Pologne) servant de lieu de rassemblements de la résistance.

         Notre réaction était singulière: dans les premiers instants, tous, „tout d’un bloc”, se replièrent vers la cuisine pour reprendre la position antérieure près des fenêtres quelques secondes après, sans que l’ordre quelconque ait été donné. Ceux qui étaient armés se précipitèrent vers les fenêtres et se mirent à tirer. Notre section était armée de deux mitraillettes et d’une dizaine de pistolets. Une dizaine d’entre nous possédait des grenades à main alors que les autres ne possédaient rien. Après le retrait des Allemands, sur la place demeurait un véhicule blindé endommagé et deux cadavres de soldats (auxquels les insurgés enlevèrent leurs bottes sous le couvert de la nuit!).

         Le groupement „Bartkiewicz”, auquel appartenait notre compagnie „mixte” ainsi que la compagnie „Rygiel”, était déjà engagé dans l’attaque contre Arbeitsamt et lançait en même temps un assaut sur un complexe d’immeubles et de cours arrivant jusqu’à la rue Mazowiecka. J’ai gardé le souvenir du lieutenant Bohun- commandant de ma compagnie - qui m’avait ordonné de le suivre en grimpant sur une échelle posée contre la fenêtre d’un appartement au premier étage de l’immeuble qui donnait sur la cible de notre attaque. Après avoir monté, j’ai vu un prêtre s’occupant d’un blessé gîsant par terre. Je me retrouvais sur un plancher jonché de débris de verre, près d’une fenêtre de laquelle tirait un insurgé coiffé d’un béret, équipé d’une mitraillette anglaise Sten. J’étais ébloui par la métamorphose subite que je venais de vivre: voilà, un jeune garçon vivant avec sa famille, qui se retrouve en tant que protagoniste d’une fusillade qui s’intensifie. Quelques instants après, quelqu’un cria „lance ta grenade”. Je dégoupillai (conformément aux leçons apprises) et lançai la grenade au milieu d’une petite cour située en-dessous. J’étais terrifié par le bruit causé par l’explosion. Je pouvais observer par la fenêtre quelques Allemands casqués, avec de grands sacs à dos, parcourant en vitesse la petite cour. Quelques minutes plus tard, nous entendîmes un cri au rez-de-chaussé: „Holà, les gars! Arbeitsamt est pris!”. C’était l’un des rares objectifs défendus par les Allemands à être pris durant cette première nuit.

         Les habitants commençaient à évacuer la cave quand une dame m’offrit une compote de cerises. Un monsieur élégant aux cheveux gris était en train de raffermir le moral d’un groupe de femmes: „Il y a quelques instants, j’étais à l’état-major. Les nouvelles sont excellentes”.

         Pendant la nuit, ce beau jour ensoleillé et vaporeux du premier août céda la place à une journée grise, plongée dans une ambiance presque automnale. Il pleuvait. Déployés sur un poste situé dans une fenêtre (barricadée partiellement à l’aide des livres), donnant sur la Place Dąbrowskiego et la rue Marszalkowska (rue principale de la ville, située sur l’axe nord-sud), nous pouvions observer le haut immeuble du central téléphonique PASTA, décoré d’un immense drapeau allemand. Nous vîmes trois canons d’assaut allemands chenillés qui défilaient le long de la rue, sans être canardés. De l’autre côté de la place s’agitaient des figures humaines portant des brassards, avec des pistolets en main. On entendait une mitraille vague des armes manuelles et automatiques. Tout à coup, un haut parleur suspendu à l’angle de la rue, servant à l’occupant pour diffuser les communiqués de guerre, se mit à émettre dans l’air des grincements bizarres, qui s’estompèrent quelques instants après au profit de la mélodie de notre hymne national qui n’avait été entendu depuis cinq ans. Pour beaucoup d’entre nous, c’était le moment le plus émouvant de l’Insurrection.

         La situation catastrophique au niveau des armes ne conduisit pas à l’annulation de l’Insurrection, bien que cinq officiers sur dix se soient prononcés contre son déclenchement lors du conseil décisif qui se tint le 27 juillet. De l’avis de „Bor”, le boycott de l’ordre allemand appelant des hommes à creuser les fortifications face au front qui se rapprochait aurait pu provoquer des repréesailles et des raffles massives, ce qui pouvait paralyser l’organisation clandestine.

         Les insurgés, possédant 4 000 pistolets, 2 600 fusils, près de 700 mitraillettes, 30 lance-flammes, 200 mitrailleuses légères et lourdes et 44 000 grenades à main, pour la plupart de fabrication clandestine, lancèrent un assaut contre une garnison allemande comptant 20 000 soldats de la Wehrmacht, de la Luftwaffe, des SS, des milices du parti SA et de la police militarisée, parfaitement armés et disciplinés.

         Bien que certaines troupes aient été massacrées par les chars ou aient péri lors des attaques contre les positions allemandes fortifiées, les insurgés réussirent à prendre le contrôle de vastes quartiers de la ville, dans lesquels la population se mit à brandir les drapeaux nationaux blanc-rouge. Le premier jour, les pertes humaines des Allemands étaient de 400 soldats, alors que les pertes des insurgés furent évaluées à 1 500 hommes tués. Environ 5 000 insurgés des quartiers nord (Żoliborz) et sud (Mokotów), démoralisés par les pertes, quittèrent la capitale et partirent vers les forêts environnantes. La plupart d’entre eux retournèrent dans les jours suivants, au moment où l’Insurrection commençait à se consolider.

         La nouvelle d’un soulèvement à Varsovie alarma les plus hautes autorités politiques allemandes à Berlin et à Münich, y compris à Rastenberg en Prusse orientale, abritant le quartier général pour le front de l’est - lieu de résidence d’Hitler. Au début, le dictateur allemand donna l’ordre de mobiliser toutes les forces de l’aviation disponibles à l’est afin de détruire complètement Varsovie par les bombes, mais ce projet dut être abandonné à cause de la présence dans la ville d’une colonie allemande de 23 000 hommes et femmes, en plus de l’armée. Il s’agissait du personnel de l’administration de l’occupant et des Volksdeutsche - citoyens polonais ayant opté pour le statut d’„Allemands éthniques”, collaborant avec l’occupant. Pour anéantir Varsovie, Hitler décida d’y expédier un corps spécialement créé à cet effet, commandé par le général SS Erich von dem Bach-Zelewski. Après la guerre, pendant le procès de Nürmberg, il affirmait avoir été élevé en Poméranie, „dans la tradition polonaise”. Pendant l’Insurrection, il renonça à utiliser la partie „Zelewski” de son nom.

         Lorsque les premiers tirs de l’Insurrection retentirent, le faubourg est de Saska Kępa était déjà patrouillé par les premiers avant-postes soviétiques. Ils se replièrent immédiatement, en assurant les insurgés rencontrés de leur retour imminent. Ce „retour” ne fut effectif que le 12 septembre, moment où l’Armée rouge occupa la rive droite de la Vistule alors que l’Insurrection était déjà à son stade terminal sur la rive gauche.

         L’occupation par l’AK de quelques quartiers importants de Varsovie facilita d’une certaine manière aux Allemands les pilonnages de vastes surfaces par l’artillerie lourde et les bombardements par l’aviation qui restèrent impunies. La majorité de la population vivait dans les caves, bien que certains quartiers situés au nord et au sud aient été nettement moins touchés, du moins au début.

         Le plan de von dem Bach prévoyait, tout d’abord, l’ouverture d’une voie de communication vers les ponts sur la Vistule, et ensuite la conquête progressive des différents quartiers, un par un. L’exécution de ce plan fut accompagnée d’actes féroces contre la population civile, chassée des maisons et utilisée souvent comme un „bouclier vivant” dans les attaques des chars ou de l’infanterie. De très nombreux hommes furent fusillés. Au moment où le général Bor commença les négociations sur la possibilité d’une „capitulation d’honneur”, au début d’octobre, l’Insurrection s’était réduite à une seule enclave au centre ville, dont les réserves de vivres ne suffisaient que pour trois jours. Les caves étaient pleines de blessés manquant de médicaments et de pansements.

         Au début, le commandement de l’Insurrection espérait obtenir une aide considérable de la part des Alliés, y compris le parachutage d’une brigade aéroportée polonaise basée en Angleterre et l’obtention d’une couverture aérienne assurée par les escadrons polonais faisant partie de la RAF. Ces projets s’avèrerent cependant irréalisables compte tenu de la distance considérable qui séparait Varsovie et les bases anglaises et américaines. Par ailleurs, étant donné que les troupes polonaises en Occident dépendaient tactiquement des chefs militaires supérieurs anglais, l’Etat-major polonais ne pouvait pas en disposer librement. Staline refusa catégoriquement de donner une suite favorable à la demande de Londres de pouvoir utiliser les aéroports soviétiques, afin de faciliter les parachutages d’armes acheminés en provenance d’Angleterre et d’Italie. Pendant la période août/septembre, les avions alliés (polonais, anglais et sud-africains) qui opéraient depuis les aéroports d’Italie, effectuèrent plusieurs parachutages nocturnes pour aider Varsovie. Ces parachutages, effectués à faible altitude, visaient les endroits identifiés par des signaux lumineux disposés dans différents quartiers de la ville. Les avions des Alliés essuyaient de lourdes pertes et les containers tombaient souvent entre les mains des Allemands. En conséquence, cette forme d’aide fut abandonnée. A la mi-septembre, au-dessus de quelques rares quartiers de Varsovie, commencèrent à faire leur apparition les petits avions soviétiques appelés „kukuruzniki”, qui rasaient les toits des maisons en larguant des armes, des munitions et des vivres- sans parachutes. Le 18 septembre 1944 fut le jour de survol de Varsovie par une flotte d’avions américains (plus de 100 bombardiers et quelques dizaines d’avions de chasse) partis d’Angleterre et atterrissant sur le territoire occupé par les Soviétiques. Ces avions effectuèrent un parachutage diurne à haute altitude. Une infime partie de la cargaison tomba entre les mains des insurgés.

         Le général Bor, commandant de l’AK et le colonel Monter (Antoni Chruściel), commandant de la circonscription de Varsovie, appelèrent à maintes reprises à l’aide les soviétiques, par le biais de Londres et en envoyant des messages directs par la radio ou par l’intermédiaire des courriers qui traversaient la Vistule afin d’atteindre les forces soviétiques. La plupart de ces appels restèrent sans réponse.

         L’Insurrection se prolongeait sans l’aide quelconque. Les avions avec les équipages alliés composés d’Anglais, Polonais, Canadiens, Sud-Africains et, vers la fin, Américains, larguaient des armes, des munitions et des médicaments qu’il fallait souvent conquérir sur les territoires occupés par l’ennemi. Dans les quartiers conquis par les insurgés, l’administration insurrectionnelle surveillait la distribution de vivres, luttait contre l’incendie, déterrait les personnes ensevelies sous les décombres d’immeubles abattus par les bombes et les obus d’artillerie. De nombreux détachements AK, y compris le mien, participaient à ce type d’actions. Exceptées les troupes „d’assaut”, la situation au niveau des armes et des munitions était toujours dramatique. On imprimait les affiches montrant une tête de mort portant un casque allemand, munies du commentaire: „ pour chaque obus tiré, un Allemand abattu”. Dans les intervalles séparant deux actions, comme les assauts ou la défense contre les attaques massives, les armes restaient en général sur les barricades, pour être reprises par la relève suivante.

         Les jeunes combattants, filles et garçons qui, au début de l’insurrection n’étaient pas accoutumés aux explosions presque continuelles, ni au spectacle du sang et des cadavres, devenaient maintenant de plus en plus aguerris. Les jeunes filles âgées d’environ dix-huit ans, conduisaient, à travers les égouts souterrains de plus en plus utilisés, des cortèges entiers composés de valide et de blessés. C’est ainsi que fut évacuée la majorité des combattants de la Vieille Ville dont la résistance touchait à son terme après trois semaines de combats acharnés. L’intensité des combats transparaît à travers le rapport de von dem Bach en date du 29 août, dans lequel le général allemand réclame qu’on mette à sa disposition une „division complète et expérimentée, parce que les résultats positifs ne peuvent être atteints qu’avec le concours des troupes d’infanterie et des sapeurs se battant dans de profondes caves et dans les ruines d’immeubles… Chaque jour, nos pertes s’élèvent à 150 hommes éliminés en combats de maisons de la Vieille Ville.”

         A l’aube du 16 septembre, les détachements du 9e régiment de la 3e division de l’Armée Populaire polonaise, commandée par le général Zygmunt Berling, commencèrent à traverser la Vistule afin de débarquer sur l’enclave de Czerniaków, occupée par les insurgés. Le jour du secours tant attendu par la ville agonisante semblait enfin arriver.

         Dans la plupart des cas, les soldats Berling avaient été mobilisés sur les territoires orientaux de la Pologne d’avant la guerre, immédiatement après l’entrée de l’Armée rouge. Nombreux d’entre eux parlaient le biélorusse et la plupart n’avaient jamais vu une grande ville, maintenant réduite à l’état des ruines. Leur commandant, major Łatyszonok, parlait le russe. Les observateurs d’artillerie qui les accompagnaient envoyaient des dépêches sollicitant une aide, mais les réactions favorables étaient rares. On annonçait le déploiement des rideaux de fumée, mais l’afflux des troupes en provenance du quartier est de Saska Kępa se faisait de plus en plus rare sous une avalanche de feu allemand. Les soldats portant les uniformes polonais étaient armés jusqu’aux dents en armes soviétiques, mais n’avaient pas été entraînés dans des batailles de rues. Ils étaient souvent désorientés. Nous, soldats de l’AK, pouvions passer pour des vétérans en leur compagnie. A cette époque, je me retrouvais au sein du groupement Radosław, dans les rangs des restes du bataillon des scouts Zośka, que moi-même et mes 9 collègues de la section 101 avions bénévolement intégré. Seulement quatre parmi nous survécurent aux combats de Czerniaków.

         Le débarquement de l’„Armée de Berling”, devant donner des renforts à l’Insurrection, fut une totale improvisation. Tout se passa sans reconnaissance ni préparation élémentaires. Tout simplement, les soldats de Berling traversèrent la Vistule pour se retrouver dans l’enfer de la côte de Czerniaków. En une semaine de combats sur un territoire restreint, ils essuyèrent des pertes s’élevant à 500 tués et blessés. Les survivants partirent en captivité. Radosław jugea la situation sans issue. Afin d’éviter la captivité, il emprunta un égout avec un groupe de 200 hommes et femmes (dont la moitié étaient blessés) et gagna le quartier de Mokotów, à l’extrémité sud de l’Insurrection. Quatre jours plus tard, les Allemands ouvrirent un feu terrible contre Mokotów et lancèrent un assaut venant de plusieurs directions. Ceux qui survécurent aux combats violents furent pris prisonniers ou réussirent à passer jusqu’au centre ville, dans une marche macabre de 14 heures dans les égouts. C’était pour la première fois au cours de l’Insurrection que les membres de l’AK pris prisonniers dans le quartier Mokotów furent considérés comme prisonniers de guerre selon la Convention de Genève- droit conquis par l’AK de haute lutte. C’était un comportement exceptionnel envers un mouvement des résistants dans toute l’Europe occupée.

         Déjà au temps de la guerre il était évident que le débarquement sur la rive gauche de la Vistule, où l’Insurrection était à la dernière extrémité, constituait plutôt une action apparente, devant masquer les véritables intentions des Soviétiques, qu’un effort concret pour sauver Varsovie. Au moment où les combats dans Czerniaków continuaient toujours, la 1ère Armée Polonaise placée sous les ordres soviétiques reçut l’ordre de maintenir „la ligne fixe”. Les sacrifices des soldats de Berling n’avaient aucune signification. Cette politique fut saluée avec satisfaction par l’Occident, ce qui fut particulièrement le cas de l’Angleterre qui cessa d’accuser Moscou de passivité. Le premier ministre Winston Churchill, s’exprimant devant le parlement (House of Commons) le 5 octobre, affirmait que les Russes n’avaient rien pu faire de plus à cause des fortifications allemandes sur la Vistule. En vérité, ces fortifications ne furent construites par les Allemands qu’après la chute de l’Insurrection! Pour les Anglais et les Américains, la Pologne appartenait déjà, dans le nouveau système mondial, à la „zone soviétique”.

         Après la chute du quartier Mokotów, c’était le tour de Zoliborz, au nord, et, à la fin, du quartier central de la ville. Les insurgés partaient en captivité en rangs serrés. Dans le camp de transition de Skierniewice, les insurgés de Mokotów marchaient en direction des wagons qui devaient les transporter vers les „Stalags” allemands en lançant le cri „AK Hourra!” Après la guerre, le pouvoir communiste accusait l’AK d’avoir choisi la captivité au lieu de traverser la Vistule et rejoindre les troupes soviétiques - manoeuvre qui était en réalité irréalisable.

Andrew Borowiec


      

Andrew Borowiec pendant le travail
(interview avec le ministre tunisien des Affaires étrangères)
- photographie contemporaine

Traduction: Wojciech Włodarczyk


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